Cour de Justice

Après avoir entendu son jugement, le juge fit les cents pas dans la pièce
" Tu te rends compte que c'est des enfants de nobles. On ne peut pas faire ça. T'as pu voir ou parler avec les parents? Et pour Villy, aucune idée."

"Oui, excuse-moi, je pensais de travers et j'ai parlé sans réfléchir. Non, bien sûr on ne peut pas faire ça. Par contre, il faudrait savoir pourquoi ils se sont battus. Bien que j'aie ma petite idée sur le sujet..."

Devant le regard que lui lança le juge, Karsten poursuivit.

"Le premier, celui qui est grièvement blessé, est promis à la jeune fille. L'autre, c'est une brute sans cervelle qi courtise tout ce qui passe et qui a déjà une tripotée de bâtards aux basques. Elle, c'est une petite allumeuse capricieuse et prétentieuse. Je parie qu'elle a laissé le con lui faire la cour, que l'autre n'a pas eu d'autre choix que de défendre son honneur mais n'a pas fait le poids."

Il se leva et commença lui aussi à faire les cent pas.

"Le souci est qu'on ne peut pas y faire grand chose. Elle n'a pas réellement fait quelque chose de répréhensible. Les duels ne sont pas formellement interdits. Par contre, les dégâts causés sont réels et le garçon ne doit pas rester impuni. Je propose une amende salée pour les duellistes, ainsi qu'une sanction militaire pour la brute : il est nommé second du commandant d'une troupe qui doit être cantonnée dans un village menacé. Le plus loin possible d'ici."

" Le problème c'est des enfants de Chevalier et je vais être obligé de faire part de la décision aux parents avant. Comme si j'avais que ça à faire et ce n'est pas le moment d'avoir de nouveaux ennemis. La révolte est notre objectif"
Le juge continua à faire les cent pas
" On pourrait se servir de cette histoire pour accentuer la colère des villageois. La relaxe des deux couillons, annulation des charges et tout ça parce que ce sont des nobles. Pas compliqué de fuiter cette information. Qu'est ce que tu en penses?"

Karsten se gratta le menton.

"Pas bête... Pas bête du tout... Mais tu oublies un problème qui se posera alors. Un problème majeur. Le père du gamin blessé. Jamais il n'acceptera ça. Et le vieux Villy non plus. Tu as le pouvoir de justice, mais n'oublie quand même pas qu'au bout du compte il peut avoir son mot à dire.

Et je gage que le père ne se privera pas de l'interpeller.

C'est très épineux comme problème. Je ne sais pas trop comment tourner ça à notre avantage... Sauf peut-être si on joue sur le fait qu'en réalité, un gars du peuple qui aurait fait un truc pareil aurait lui été pendu alors qu'ici le gamin est juste exilé pour une durée indéterminée."

Il regarda par la fenêtre.

"Bien que tout le monde sache que les duels ne sont pas punis de mort sauf s'il y a mort d'homme..."

Il se retourna vers Fiirn avec un sourire rusé.

"Ou alors on demande au boss d'organiser un duel entre deux péquenots et tu rends justice publiquement en condamnant le "vainqueur" à mort alors que l'autre n'est pas mort. Et tu le fais réellement exécuter sur la place publique. Ca, ça peut passer parce que comme c'est une affaire de petites gens les probabilités que Villy s'en mêle sont très minces.

Qu'est-ce que tu en dis ?"

Il tourna en rond dans la pièce et réfléchit à la proposition de Karsten.
" Ce n'est pas bête non plus mais la mienne permettrait d'accentuer la fureur du peuple. Je ne peux juger cette affaire comme une autre.
J'irais parler à Vildrek et minimiser les faits. Un arrangement à l'amiable je lui proposerais. Je verrais ce qu'il préfère. Après tout même si je suis juge c'est ses chevaliers donc à lui de décider."

Karsten fit la moue, pas convaincu.

"Tu oublies qu'il va convoquer les nobles. Et ce qu'ils diront n'ira pas dans le sens de ta version amoindrie. Je ne suis pas sûr qu'après ça tu aies encore le même crédit auprès du vieux."

Il haussa les épaules.

"Mais c'est toi qui vois. Tu le connais mieux que moi, je peux me tromper. Et puis, au bout du compte, c'est pas moi qui joue ma tête..."

Il lui fit un clin d'oeil.

Le juge rit de bon coeur, un rire gras.
" Des têtes coupées il y en aura. Les fêlés d'Ambre vont s'en donner à coeur joie. Quant à moi je vais faire mon coeur d'artichaut devant le seigneur c'est à dire d'exposer simplement les faits du bourreau des coeurs. Les bêtises des enfants de ses chevaliers aura en lui un coeur d'or, peut-être à contre-coeur mais avec le coeur net il prendre lui-même la décision.

Et ma main sur le coeur je poserais, j'exécuterais sa volonté "

Karsten éclata de rire lui aussi.

"Je paierais cher pour voir ça ! Toi, la main sur le coeur et le sourire en cul de poule ! J'imagine déjà la situation ! Je crois que le boss en rira encore trois jours plus tard..."

Il essuya un oeil humide puis demanda :

"Et tu en penses quoi de la mort de l'héritier ? Comment ça va se passer à ton avis maintenant ?"

" Il va en faire un autre à sa nouvelle courtisane mais peu importe. D'ici là nous serons au pouvoir"

"Espérons-le. J'en ai marre de stagner ici. J'aimerais plus de responsabilités moi. Mais avec Dame Anna dans les parages, vu comme le peuple l'adore, ça redistribue les cartes. Qu'est-ce qu'il en pense, le Boss ? Tu sais toi ?"

" Pour l'instant ça me va, je m'en mets plein les poches avec ce complot. Oh tu sais même Dame Anna pourra rien faire. Du petit peuple, à la cour, à la justice jusqu'à la défense, nous sommes partout comme tu sais.
Vildrek va perdre la confiance du peuple par contre Anna pourrait le remplacer. Je pense que le Boss a un plan. La tuer? l'accuser de traîtrise comme Vildrek? Du choix mon ami il peut trouver. Je ne suis pas le Boss, j'en ai déjà trouvé deux.
Il faut que j'aille voir l'autre, maître la gratouille, le greffier. Je vais demander audience et il va m'envoyer dans les ronces à coup sûr. Il faut toujours gueuler ici pour avoir ce qu'on veut. Tu sais je fatigue avec tous ses protocoles à la con. Vivement qu'on gère cette ville."

Nombre de messages : 2114 Date d'inscription : 30/06/2009

Karsten et le Juge se séparèrent après avoir fait leurs mises au point. Aidé du greffier, le Juge se fit préparer la missive convenable, mentionnant ce qu'il faut de faits mais pas trop, les noms des deux chevaliers, mais sans entrer dans les détails, afin de réussir à dérider le Chambellan.

Effectivement, comme l'avait prévu Friirn, le Chambellan lui fit des histoires. Mais vu la gravité des faits, et les personnalités liées à l'affaire, il ne pouvait pas refuser au Juge l'entrevue qu'il réclamait auprès du Comte. Le Chambellan lui trouva donc un rendez-vous dans l'emploi du temps du surlendemain. Les journées du Comte avaient beau être chargées, pour ce genre de cas de figures, on trouvait toujours le moyen ...

Le juge retourna à son bureau. Il donna congé au garde en faction devant sa porte et lui remit quelques pièces pour le service.
Il ouvrit, entra et la bleue était toujours là.
" T'en es où? tu as terminé la liste j'espère?"

Nombre de messages : 2114 Date d'inscription : 30/06/2009

Elle sursauta, comme si un diable avait surgit de sa boîte.

"Hein ? Euh oui, oui ... enfin non ... mais si ... enfin presque ! J'en ai déjà mis quelques uns déjà ! Presque finie !"

Avec un débit de voix moins rapide, çà ira mieux pour se faire comprendre, parce là ...

" Tu finiras dans ma demeure."

Friirn Tremmen chercha une besace dans son fatras. Il n'était pas un nain ordonné, il y avait de la paperasse partout même sous le mobilier. Des livres servaient de cale ou pour remplacer un pied de chaise.
Il se refusa de prendre un secrétaire par peur qu'il ait envie de fouiner.
Il trouva enfin un petit cartable qu'il donna à la jeune fille.
" Mets-y ton papier et le crayon. Une fois dehors tu ne dis rien. Je ne veux point t'entendre. Compris?"
La fille acquiesça d'un geste de tête.
Le juge prit sa main et l'emmena dans son grand manoir.

Le juge poussa légèrement la Bleue à l'intérieur de sa maison.

" Et voilà ton nouveau chez toi."

Il la laissa contempler le hall et pendant ce temps il posa ses affaires sur un guéridon et attrapa une clochette. Il la fit tinter et appela Albert, son majordome.

" Oui monsieur le juge, à votre service."

" Je te présente la Bleue, tu vas la conduire dans une des chambres. Peu importe laquelle. Après tu lui apporteras tout ce qu'elle a besoin et beaucoup de papier aussi."

" Pardon, du papier vous avez dit?"

" Tu as très bien entendu, beaucoup de papier. Et vas me chercher Mepine."

" Bien Monsieur."

Albert conduit la demoiselle et croisa dans un couloir Mépine, la gouvernante. Albert lui fit passer le mot et elle descendit prestement.

" Vous vouliez me voir Mr le Juge?"

" Oui, j'ai emmené une petite fille. Elle est importante pour moi mais je n'ai pas encore toute confiance en elle. Et c'est pour ça que je te demanderais de la surveiller. Tu seras en quelque sorte son geôlier."

Mépine prit un air surpris mais ne contesta pas la demande.

" Bien, je la surveillerais."

" Parfait. Lorsque Albert l'aura installé, tu me l’emmèneras dans la salle à manger. Elle va m'accompagner pour le souper. Tu sais ce qu'à préparer le cuisinier?"

Nombre de messages : 2114 Date d'inscription : 30/06/2009

[Petite ellipse temporelle ...

Le Juge eut son entrevue avec Vildrek concernant "l'affaire des deux garnements de nobles". Il joua sur la corde sensible, comme il l'avait prévu. Effectivement, Vildrek voulu ménager la chèvre et le chou, punir pour l'exemple, mais pas trop quand même. Évidemment, il ne fallut pas attendre longtemps avant que le père du blessé ne monte au créneau pour exiger une sanction plus sévère pour la brute. Et par un effet boule de neige, le père de la brute s'invita à son tour dans la partie pour défendre son fils, après tout, il n'était pas responsable, tout çà, c'est la faute de cette allumeuse qui avait provoqué l'incident.

Le Juge avait au moins déjà gagné sur un premier élément : Les soucis et les emmerdements, c'est Vildrek qui se les coltinait. Et lui, il jubilait en silence, tout en épaulant de ses connaissances juridiques le Comte. Les deux nobles et certains de leurs amis commençaient à faire monter la moutarde en sabayon. Tant et si bien qu'ils finirent par pousser Vildrek dans une colère noire. Les deux nobles se prirent un sermon pas piqué des vers (et forcément, ils allaient lui en garder rancune pendant un moment après çà). La brute écopa de 2 ans de service militaire obligatoire effectifs dès le lendemain. L'honneur du blessé fut restauré, mais pour lui faire passer l'envie de recommencer à le défendre à tout bout de champ, les conseillers du Comte soufflèrent à la famille de l'allumeuse d'aller lui faire faire un tour au convent, histoire de lui apprendre les bonnes manières (et lui faire perdre sa manie d'allumer justement), au moins quelques mois. Et évidemment, une autre famille de noble eut à ronchonner des décisions du Comte.

Même le clergé d'Ambre appuya la décision. Il y avait eu sanction, punition, et finalement, aucun des trois jeunots n'était mort. Toutes les familles nobles s'en sortaient plutôt bien (du point de vue du clergé)

Dans l'affaire, le Juge avait laissé d'autres se salir les mains et tout le monde avait trouvé qu'il avait été de bons conseils tout du long, une aide appréciable en somme ...

Mais des égos avaient été froissés ... ]

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