L’émissaire des Archidiables était arrivé. Ce n’était pas trop tôt. Ambre fulminait dans l’antichambre de sa salle du trône. Bien que les Archidiables aient diligenté cet émissaire avec la plus grande promptitude, il n’avait plus aucune patience depuis le défi de cette pimbêche. Il respira plusieurs fois profondément et se calma avant de regagner son trône et d’ordonner à son serviteur, un dark solar, de faire entrer l’émissaire.
Lorsque les portes s’ouvrirent devant lui, le puissant Seigneur Baatezu s’avança rapidement jusqu’à quelques mètres du trône. Bien que peu enclin à la soumission, l’aura d’Ambre le força à s’agenouiller avec déférence. Le dernier émissaire avait manqué de diplomatie et Ambre l’avait purement et simplement décapité d’un revers négligent. Le Diantrefosse se le tenait pour dit.
« Leur toutes puissantes divinités des Enfers vous adressent leurs salutations les plus cordiales, Votre Magnificence. Ils aimeraient…
- Oui, oui. Venons-en au fait voulez-vous. La fille. Qu’est-ce que vous lui avez fait ? Comment puis-je m’en servir ? Quelles sont ses failles ? »
Le diable s’inclina à nouveau.
« A votre service, Votre Eminence. Nous l’avons hébergée dans nos geôles infernales et l’avons confiée à nos experts. »
Rien que cette perspective semblait le mettre en joie.
« Le bourreau s’est introduit dans son subconscient et y a posé quelques pièges afin de l’obliger à révéler ses secrets. Il a tissé une toile fantasmatique et elle a doucement basculé de la réalité dans le fantasme. Là, il a été facile à notre spécialiste d’ouvrir les portes, découvrir les failles.
Il a détruit un par un ses accès de bonheur, ses souvenirs joyeux, l’a petit à petit plongée dans le désespoir avant de revenir avec son bonheur, mais perverti.
Ainsi, elle s’est retrouvée enceinte plusieurs fois, mais à chaque fois une horreur lui arrivait : son amant tuait l’enfant, l’enfant était mort-né, elle mourait en accouchant, sa sœur devenait la proie de son fils et tuait son enfant…
Son amour, sa famille, ses amis, son peuple se désagrégeaient de plus en plus au fur et à mesure des fantasmes. Jusqu’à devenir une source d’abord d’appréhension, puis de crainte et enfin de haine.
Le bourreau a enfoui tout cela profondément en elle mais a placé des clés afin de l’empêcher de reprendre le contrôle de ses sentiments et de son comportement. C’est une véritable bombe à retardement. »
Le Diantrefosse souriait de tous ses crocs luisants. Ambre lui lança un regard méprisant.
« Et tu crois que je vais avaler ce ramassis de foutaises ? Tu crois que je vais croire qu’un diable a pu implanter de telles contraintes dans l’esprit divin de cette racaille ?
- Mais… Je ne vois pas de quoi…
- SUFFIT ! »
Le regard d’Ambre s’alluma d’une flamme dangereuse et le diable prit subitement peur. Il avait cru pouvoir tromper ce petit parvenu qui se prenait pour un Dieu mais il lui semblait à présent qu’il avait mal calculé ses chances de réussite. Alors que le regard du Dieu du Tourment grandissait sous celui du Diable, celui-ci sentit la panique le gagner.
Qu’avait-il fait ? Il allait encourir le courroux du Dieu. Et s’il en réchappait jamais, les Archidiables lui feraient payer son initiative au prix fort. Il aurait de la chance s’il ne redevenait qu’un simple Lémure. Et ses ennemis le tailleraient ensuite en pièces. Pendant des siècles au moins.
La peur s’insinua en lui.
Il sentait déjà dans son dos le regard d’Asmodée et Méphistophélès. Il savait que sa disgrâce serait infâme. Ces deux-là n’avaient pas leur pareil pour développer de trésors d’ignominie.
Son esprit se délita. Il tomba à genoux.
« Je vous en prie… Je… Non… Pardonnez-moi… »
Les flammes de ténèbres avaient englouti le visage d’Ambre. Ne restait plus qu’un néant abyssal auquel il semblait promis. Il sentit un liquide chaud couler le long de sa cuisse.
« Je… vous supplie de me pardonner. Je vous dirai tout. Tout… »
Ambre sourit à part lui. Quel imbécile. Quelle faiblesse. Ca, un Seigneur parmi les siens ? Il retint un ricanement méprisant.
« Parle. »
Le Diantrefosse parla. Il dit tout ce qu’il savait et même plus, car Ambre additionnait les pistes que le diable n’avait même pas soupçonnées.
L'influence et l'aide de Moandre à l'insu du bourreau pouvaient expliquer les dires précédents du Diantrefosse. Et les secrets de Moandre appartenaient également à Ambre désormais. Mais peu lui importait ce que tramait ce perdant pour essayer de revenir. Ca le servirait certainement.
D’un geste négligent, il congédia la loque balbutiante et puante qui rampait à ses pieds. Le Diantrefosse se retira en le remerciant de sa clémence et sa miséricorde. Ambre haussa un sourcil. En effet, il avait été clément. Mais la peur qu’il avait inspirée à ce rat se répandrait dans les Enfers et servirait bien plus sa cause sur le long terme que s’il avait désintégré le diable séance tenante. Il fallait parfois voir plus loin.
Il se retourna alors vers sa capitale, pensif, déjà oublieux du Diantrefosse. Moandre et Magnolia. Comment allait-il tourner ça en sa faveur ?