Rive Est de l'Estuaire

En fin de journée (J+25), les cavaliers d'Oghma arrivèrent en vue du pont enjambant la mer intérieure à l'endroit où elle était le plus étroite. Plus au sud, elle formait un estuaire se jetant dans l'océan. A la lueur du crépuscule, les soldats trouvèrent le pont en étonamment bon état par rapport à ce qu'ils s'attendaient à trouver.


Tandis que la plupart était occupée à préparer le campement du soir, Briquet, parti en éclaireur un peu plus avant revint en signalant qu'il y avait eu du passage récemment. Des chariots avaient pris la direction du pont, et l'avaient donc surement emprunté (les migrants issus de Bouftous et Hautes-Herbes, dont les jumeaux elfes et les nouveaux commerçants). Signe qu'il devait être fonctionnel. Mais il était de toute façon plus prudent d'attendre la lumière du jour pour étudier çà correctement.

En peu de temps, le pont fut sous contrôle.

Une fois arrivés à la tour, les archers montèrent prudemment l'escalier. Il était toujours bien solide, même si une pierre par ci par là mériterait qu'un maçon fasse de la maintenance. Mais ils remarquèrent assez vite la poussière laissée là, signe que personne ne l'avait utilisée depuis longtemps. Enfin personne de bipède, car de fines marques constellaient la poussière et çà et là, de vieilles toiles d'araignées étaient tendues en travers du passage. Ils n'eurent aucun mal à déblayer les vieux fils poussiéreux avec leurs arcs. Le dernier passage des arachnides devait lui aussi dater d'un bout de temps.

Les deux campements furent installés aux deux extrémités dans un bon ordre. Ils approchaient pourtant du but mais l'enthousiasme né de l'affrontement aux bosquets avait laissé place à de l'anxiété. Ils se sentaient observés, épiés. Pourtant, ils ne voyaient personne, mais cette impression était omniprésente dans leurs esprits. Ils n'eurent aucun mal à obéir aux consignes de vigilance. Tous craignaient une attaque durant la nuit ...

"C'est trop calme ... j'aime pas trop beaucoup çà ! J'préfère quand c'est un peu trop plus moins calme !" murmura l'un des lanciers resté de garde.

"On serait alors en droit de se sentir personnellement visés ! Il a réussi à rester debout toutes ces années, même s'il n'a pas été entretenu ! Le faire sauter alors qu'on est dessus ...

J'avoue que j'aurais préféré être accueilli par des sentinelles des Huldras à ce pont, plutôt que de le trouver désert ! J'espère qu'on trouvera un accueil, quel qu'il soit, lorsqu'on va arriver à la cité !"

"Une partie de la population déteste le culte d'Ambre, ils accueilleraient favorablement une mise à l'écart des prêtres ... Mais à l'inverse, une bonne partie leur est fidèle ! Ils ont protégé la cité durant des années en l'absence des Huldras après tout ... ceux là risquent de très mal réagir ... Les prêtres aussi d'ailleurs ! Je les vois mal accepter une éviction ! Le propre fils du seigneur est même carrément mort en martyre en défendant des villageois ! Ils risquent de s'en servir !

Après, ce que notre seigneur veut vraiment ... je ne sais pas ! Mais a-t-il les mains assez libres pour gérer le cas du clergé d'Ambre ?"

"Oui ... c'est vrai ... mais seuls face aux pouvoirs des prêtres d'Ambre, l'Armée n'imposera rien !

L'idéal serait vraiment que les Huldras conçoivent une alliance profitable autant pour eux que pour les intérêts du Comte ! Comme çà, c'est le culte d'Ambre qui se retrouvera isolé, et entre une bonne partie de la population aspirant à la stabilité, l'Armée de Castellac, les fidèles du Comte et les Huldras, les prêtes isolés ne pourront pas s'opposer à l'alliance !

Et une fois les cités de Castellac et Harmadrya alliées, la troisième grande cité du royaume (NDLR : Al-Hinna), qui se trouve en première ligne face aux menaces du nord, ne pourra que nous rejoindre !

Oui bon je sais, on peut rêver ... mais qui sait ?"

"Souhaitons-nous bonne chance alors ! Normalement, nous pénétrerons dans la cité demain !"

Les hommes de garde durant le premier quart étaient trop tendus pour piquer du nez. Sans pouvoir être sûrs de quoique ce soit, ils se sentaient observés de loin.

Cette sensation n'était pas qu'une vue de l'esprit. Juste sous la surface de l'eau, des yeux les observait, immobiles. Et sur la terre ferme, la lisière de la forêt aussi abritait des observateurs silencieux.

"Oui, parce que en toute logique, ce pont, c'est à eux de le garder ! Pas à nous !

L'ambiance est vraiment très bizarre ici ! L'impression qu'on n'est pas seuls, alors qu'on n'a trouvé aucune présence récente, et vu personne ! Y'a dû y avoir des araignées dans la tour, et des modèles plus gros que ceux de l'ermite, mais elles sont parties depuis un moment ! Ce pont a un petit côté ... lugubre ..."

"Oui ! Face aux bandes de pillards, ce pont et sa tour sont une bonne défense et on est positionnés ! Si on se fait attaquer ce soir, on sera prêts à les recevoir !"

Juste alors qu'ils évoquaient une éventuelle péripétie, un radeau, garni de dryades entourant 2 passagers précieux et escorté par des ondins, avançait lentement sur l'eau en direction de l'océan. Dans l'obscurité, il était invisible pour le moment ...

(NDRL : Le radeau d'Anima, Ja, Drycha et tous les autres arrive le même soir au pont)

Drycha, restée derrière Ja écoutait l'avis des ondins.

"Castellac ? Si près de la cité-sanctuaire ? Qu'il s'agisse de nous, des Huldras ou de ceux de Castellac, nous avons tous des ennemis communs ... est-ce que cela fait de nous des amis ?"

Le courant amenait inexorablement le radeau vers le pont et fatalement, des bruits pour le moment faible de clapotis commençaient à se faire entendre du pont, signe que quelque chose approchait à faible allure dans l'eau.

Les soldats postés sur la tour repèrent les sons puis l'ombre sur l'eau juste avant le rugissement du guerrier.

Ils appelèrent Briquet et la commandante restés sur le pont.

"Mon commandant ! Embarcation à droite ! Ils demandent droit de passage !"

Briquet haussa les yeux au ciel un instant.

"Pour le droit de passage, je l'ai entendu sans ton aide, merci bien ! (il l'avait dit assez bas pour que seule Oghma l'entende. Puis il reprit, plus fort, pour que les gardes sur la tour l'entendent) ... Et combien sont-ils sur cette embarcation ?

Plusieurs ! Avec des nageurs ! On ne voit pas combien dans l'obscurité !

Que fait-on Cheffe ? Ils s'annoncent en paix ! On attend de voir ?"

Dans l'ombre de Ja, Drycha glissa un simple murmure :

"C'est bien la première fois que je vois çà ! Ces humains ne sont pas agressifs envers nous ! Ils font ce que tu leur as demandé, ils nous laissent passer ... D'abord les ondins, maintenant les humains ? C'est bien le signe qu'on approche du sanctuaire ! Que faisons-nous ?"

Drycha avait du mal à raisonner. De se sentir si proche de la forêt d'Harmadrya, une sensation étrange s'emparait d'elle, comme un appel flou. Elle arrivait tout juste à énumérer ses idées sans réussir à les associer, se fiant à la jugeote de Ja pour réfléchir à sa place.

Drycha se retourna pour s'assurer que ses sœurs avaient bien entendu les consignes de Ja.

A nouveau, son attention était attirée, presque distraite par la forêt. Elle sentait confusément que quelque chose l'attendait là-bas. Elle avait guidé les autres dryades jusqu'ici mais elle pressentait qu'elle allait devoir les abandonner alors qu'elles touchaient au but. A qui les confier ? A l’Élue elle-même ? Ou a son protecteur ? Drycha ne voulait pas faire peser cette responsabilité sur les épaules d'Anima, elle préférait donner sa confiance à Jad-bal-Ja.

"Ils ne nous ouvriront peut-être pas les portes de la cité en pleine nuit ! Peut-être devrions-nous profiter de débarquer pour que vous vous reposiez tous les deux ! Nous pourrons ainsi entrer dans la ville lorsque le soleil se lèvera !"

Le curieux équipage passa lentement sous le pont et poursuivit doucement sa route. Les gardes, les ondins et les dryades s'étaient observés en silence, sans hostilité, comme traversés par un instant de grâce, seulement curieux d'observer l'apparence des autres, comme pour graver à jamais ce moment dans leurs mémoires.

Alors que le pont n'était plus qu'une silhouette sombre sur l'eau, les dryades reportèrent leur attention vers l'aval. D'ici, on entendait déjà le ressac de la marée au loin. L'estuaire s'élargissait sans cesse et les vagues commençaient à secouer le radeau.

"La mer intérieure est calme comme un lac mais là, les vagues de l'océan vont briser le radeau, nous ferions mieux d'accoster !"

Les ondins aidèrent le radeau qui eut toutes les difficultés du monde à s'approcher de la berge et ils accostèrent enfin.

"La cité est juste de l'autre côté de ce bois, je la sens presque ! Demain matin, nous serons arrivés !"

(Ligne rouge : trajectoire de la troupe d'Oghma, de La Prairie, en passant par les bosquets de l'ermite, jusqu'au pont sur l'Estuaire
Ligne orange : trajectoire du radeau de Jad-Bal-Ja, Anima, Drycha et ses dryades et les ondins qui les escortent, jusqu'à ce qu'ils accostent non loin de la cité)

Les dryades regardèrent les ondins retourner vers les leurs. Elles commencèrent à installer le campement pour la nuit autour du guerrier et l’Élue. Cependant, durant tout le temps de l'installation, Drycha avait du mal à garder l'esprit claire. Elle ne cessait de regarder la forêt. Quelque chose l'appelait, elle en était sûre. Elle savait que ses sœurs feraient tout pour protéger l’Élue des dangers de la forêt mais elle restait persuadée que cette forêt ne lui voudrait jamais le moindre mal.

Maintenant, il lui restait à trouver les mots pour expliquer au protecteur qu'elle lui confiait ses sœurs et qu'elle devait les partir. Il avait raison, une guerre arrivait, et ils avaient tous un rôle à jouer. Elle ne voyait pas meilleur commandant que lui pour la remplacer auprès des autres dryades dans la guerre à venir.

Elle regarda quelques instants Ja prendre soin d'installer Anima pour la nuit ...

Les soldats s'écartaient pour laisser passer le groupe de 9. Briquet balança un ou deux bons mots aux trainards qui n’exécutaient pas les ordres de leur Cheffe assez vite. Les différentes surprises de la nuit encaissées, il fallait quand même remettre de l'ordre et de la discipline dans tout çà.

Non loin, dans le camp sur la terre ferme, Drycha s'approcha en silence de Ja. Pour ne pas le réveiller, elle préféra lui parler dans ses rêves ...

*Je croyais, comme mes sœurs, que mon rôle était de protéger l’Élue ! Mais maintenant que nous sommes au seuil de cette forêt, je sais que c'est elle qui m'appelle ! Je continuerais d'être dévouée à l’Élue mais moins directement ! Guerrier, je vous confie mes sœurs ! Elles ont confiance en vous ! Elles vous écouteront et vous obéiront !*

Elle se redressa, et comme si ses jambes de bois caressaient l'humus, elle s'éloigna silencieusement en s'enfonçant profondément dans la forêt, laissant les autres dryades veiller sur le repos de Ja et le sommeil d'Anima ...

Sur le pont ...

Tandis que le clairon sonnait l'appel du matin, Briquet faisait le tour des troupes pour houspiller ceux qui tardaient à se lever. Aujourd'hui était un grand jour et il tenait à ce que tous les hommes fassent honneur à Oghma.


Dans le sous-bois ...

Les dryades commençait à s'animer doucement, s'assurant que Anima et Ja était toujours à l'abri au centre du dispositif. Cependant, elles s'étonnaient de l'absence de Drycha. Mais loin de succomber à un vent de panique, elles se sentait rassurées par la présence de l'homme-lion. Comme si Drycha leur avait soufflé inconsciemment une totale confiance en lui. Elles attendirent dont qu'il décide de la marche à suivre ...

La troupe progressa donc prudemment, en formation serrée, les sens aux aguets. Ils n'arriveraient peut être pas le plus rapidement à la Grande Porte Est mais au moins ils limitaient grandement les risques d'embuscade.

Les dryades se regardaient l'une l'autre. Jusqu'ici, c'est Drycha qui parlait pour la communauté, elle était leur porte parole. Mais maintenant, elles ne savaient pas qui allait répondre à la question. Elles ne voulaient pas faire honte à Drycha, elle voulaient montrer à Ja' ce dont elles étaient capables. Au bout de quelques secondes gênantes, l'une d'elle le regarda avec courage.

"Drycha ! Elle n'est pas là ! Elle est ... partie ! Nous vous suivons désormais guerrier ! Nous ferons tout pour protéger l’Élue !"