La patrouille

Les premières heures de patrouille furent tranquille. Aussi près des remparts, il n'y avait pas de danger notable ... La forêt bruissait de l'activité de la faune locale. Au moins, rien ne semblait effrayer les animaux pour le moment, pas même la présence des 4 patrouilleurs ...

En fin de journée, ils aperçurent les contours d'un gîte relais au bord du chemin. Il était clairement abandonné mais la végétation n'avait pas encore eue le temps de commencer à investir quoique ce soit. Dans la pelouse devant la bâtisse, 2 tombes récentes avaient été érigées.

Varag n'avait enterré que les parents d'Ilona. Pour le moine-assassin, il l'avait abandonné aux animaux sauvages. Il n'y en avait aucune trace. Quelques petits rongeurs s'enfuirent à l'arrivée des patrouilleurs, dérangés par leur présence. Seul fait notable, il n'y avait plus de chants d'oiseaux aux alentours du bâtiment.

Cette absence de chants d'oiseaux intriguait Edéo. Laissant les 2 combattants autour du pisteur, il commença à escalader un arbre, histoire d'avoir une vue d'ensemble. Après être grimpé de branche en branche sur plus de 6 mètres, l'elfe commença à étudier le paysage.

"Y'a pas un seul piaf à portée de vue ! C'est possible çà ?"

Alors qu'il s'apprêtait à redescendre, autre chose attira son regard ...

"Hé dites ! Au bord du ruisseau derrière le relais ... à quoi ... 6 mètres derrière je dirais ... y'a 3 chevaux sellés qui s'abreuvent ! Même pas attachés à un arbre, les rênes trainent par terre ... Je ne sais pas ce qui est arrivé aux cavaliers, mais çà n'augmenterait pas notre rayon d'action si on était montés ?"

Arrivé au sol, Edéo sortit son épée longue et se porta au niveau de Ragnar.

"On ne laisse pas des chevaux comme çà sans les attacher .... pas logique ... il a dû arriver un truc aux cavaliers !"

Ragnar avait raison, il valait mieux être sur ses gardes.

Ils s'approchèrent prudemment du ruisseau. A leur approche, les chevaux sursautèrent un instant, mais comme il s'agissait de montures dressées, ils ne se montrèrent pas farouches. Il ne fallut pas beaucoup d'effort pour réussir à attraper les rênes qui trainaient.

Ragnar remarqua que les sacs de fonte étaient garnis. Les cavaliers n'avaient pas vidé leurs affaires, ou n'avaient pas eu le temps en tout cas. Flattant la crinière d'un cheval pour s'attirer ses bonnes grâces, Edéo remarqua qu'il avait les pupilles dilatées, ils les avaient tous d'ailleurs.

"Quelque chose leur a fait peur, et continue de leur faire peur ... mais çà n'est pas nous ! Qu'est-ce qui s'est passé ici ?"

L'elfe et le nain le ressentir une bonne seconde avant les deux humains. L'air devint soudain glacial. Les chevaux ne s'agitaient pas mais ils avaient la queue entre les jambes, enroulée le long d'une jambe.

Un bruit de gravier attira leur attention côté jardin. S'extirpant du puits, une forme humanoïde prenait pied sur l'herbe. Un corps en partie dévoré, en partie décomposé, une lueur spectrale comblait les manques. Un pantalon de moine-guerrier déchiré, torse nu, de grands yeux grands ouverts d'un blanc nacré et une mâchoire tombante. Ce qu'il murmurait semblait incompréhensible.

"On dirait un sluagh ! Un mort sans repos ! Un esprit dont aucun paradis ni aucun enfer n'a voulu !"

Ah ben là, ils n'avaient pas trouvé seulement un indice, ils étaient tombés sur un suspect.

"Et bien imagine qu'on te refuse l'entrée partout, même aux seuls endroits où t'es censé aller quand t'es mort ... Du coup, t'es frustré, çà te fout en rogne ... et le pire, c'est que de se venger sur des vivants en les tuant, çà ne te libère même pas de ta frustration, car tes victimes, tu les envoies à des endroits où tu ne peux toujours pas aller ! S'il est arrivé quelque chose de funeste aux cavaliers des chevaux, il doit en être pour quelque chose ! Faites gaffe !"

Edéo brandissait son épée mais ne savait pas trop comment affronter ce mort sans repos.

"Des coups ? Ah ouf ! Alors si on s'y met tous ..."

L'elfe se tourna vers Gertrude.

"Tu tentes le contondant par devant et nous on le taille chacun sur un flanc en même temps ?"

"Héé 'tention ! Dis ... qui c'est qui t'as appris à viser ? C'est le machin pas frais, pas content, un peu baveux et tout colérique là qu'il faut viser ! Pas les gens qui gesticulent autour !"

Leur adversaire avait perdu de la rapidité dont il bénéficiait de son vivant, mais alimenté par sa frustration de ne pas réussir à les tuer rapidement, ses coups devenaient plus précis et plus rapides. D'une balayette à raz de terre qu'il n'avait pas vu venir, Edéo se fit faucher la jambe d'appui et se retrouva par terre. Mais avant qu'un coup de talon ne mette en danger sa boîte crânienne, le sluagh prit un coup de massue dans la poitrine qui permit à l'elfe de rouler hors de portée.

Les haches de Ragnar entaillaient les bras du mort dès qu'il tentait une attaque vers le Norrois mais cette chair morte était d'une incroyable résistance, pas moyen de lui couper un membre. Ils le blessaient, l'handicapaient, augmentaient sa colère, mais ils n'arrivaient pas à le terrasser définitivement. A la longue, ils finiraient par l'abattre, mais çà promettait d'être long et dangereux.

Voyant le gland le toucher ... *Ah tiens ! Il arrive enfin à toucher !*

"Ah ben c'est çà ! Si les pierres çà rate, laisse tomber, continue avec des glands !"

Le mort-vivant devint soudain plus maladroit. L'énergie négative qui maintenait ce corps meurtri commençait à s’essouffler. La rage de Ragnar nourrissait la colère du sluagh mais çà ne suffisait plus. Chaque plaie, chaque orifice, laissaient s'échapper des volutes d'énergie, comme de la brume s'échappant de son corps, il allait bientôt atteindre le point de rupture.

Vaincu dans la vie par l'antithèse de ses convictions, un orc,
Mort avant d'avoir pu élever son idéal au rang de Dieu pouvant l'accueillir dans un quelconque paradis,
Il allait être vaincu à nouveau dans la mort, et çà, çà le rendait encore plus frustré, sa rage commençait doucement à muer en désespoir ...

La massue servait autrefois à Varag à chasser du monstre, elle était bien plus robuste qu'elle ne laissait présager. A force de la manier, Gertrude commençait à la maitriser de mieux en mieux, il lui semblait bien qu'elle tiendrait si elle frappait de toutes ses forces ...

Pour lui laisser le champ libre pour prendre un maximum d'élan, Edéo plongea sur le côté du mort-vivant, trop loin pour être touché, mais suffisamment dans son champ de vision pour lui faire croire à une attaque feintée. Le sluagh se tourna vers l'elfe en réalisant trop tard qu'il exposait un flanc à la barbare ...

Dans un cri de frustration infinie, le mort-vivant agita les bras dans l'espoir vain de déchirer cette impudente mais la massue lui donnait une meilleure allonge et sa cage thoracique décida au même moment de céder. Des volutes d'énergie spectrale s'échappèrent de son torse tandis que les os craquèrent, les côtes se désagrégeant sous l'effet répété des coups. La moitié supérieure du torse chuta au sol tandis que les jambes titubèrent encore quelques instants avant de basculer en arrière. Plantant ses doigts griffus dans le sol, il essaya bien de ramper vers les vivants mais sa mâchoire déformée laissait s'échapper ce qui lui restait d'énergie de la non-vie.

Il ne fallut que quelques instants de plus avant que les 2 moitié du cadavre ne cessent de bouger, il n'y avait plus la moindre lueur dans ses yeux, ni dans son corps.

L'adrénaline retombée, les 4 patrouilleurs réalisèrent qu'ils étaient couverts d'une sueur froide, une de celles qui sont les moins agréables ...

Les chants des oiseaux, et les bruits des petits animaux de la forêt commencèrent progressivement à revenir ...

"Hé ben ! Pour une saloperie, c'était une sacré saloperie ! On s'en est définitivement débarrassés ?"

Il leva les yeux pour distinguer le ciel entre les frondaisons.

"La nuit va bientôt arriver ! Ce qui est logique après tout pour un relais, s'il a été construit ici, c'est parce qu'on est à un jour de distance de la cité ! Doit y avoir assez de chambres là-dedans pour y dormir ... ou vous voulez aller dormir ailleurs ?"

Une fois les dernières traces de l'ancien moine-assassin d'un culte sans dieu détruites, ils purent investir les lieux. Ils avaient récupéré 3 chevaux qu'ils installèrent dans les box à l'arrière du relais et mis à part 2 chambres simples à l'étage et la chambre des tenanciers (où vivaient Ilona et ses parents), le reste était un dortoir commun pour les voyageurs. Les literies étaient toujours en place, un peu humides d'être restées plusieurs jours dans cette bâtisse désormais à l'abandon, mais en bonne état.

Restait à savoir comment ils allaient se répartir maintenant ? Tout le monde dans le dortoir ? Ou autre ?

*Un farfadet ? Ici ?!? Alors je comprends mieux pourquoi le sluagh maraudait dehors, à chopper les visiteurs isolés ... il ne pouvait pas rentrer !

On ne va faire qu'utiliser les chambres du relais pour ce qu'elle sont ... et on repart demain ... on ne devrait pas l'offenser ... enfin je pense ... mais comment s'excuser auprès d'un farfadet ? Ya un truc à laisser sur la table de nuit ? Je ne me souviens plus ...

Faudrait peut-être prévenir les autres ? On ne sait jamais ... Euh ... Je vais faire comment avec la Gertrude ? Elle va vouloir l'emmerder ... Commencer par Ragnar d'abord ! Il sait comment la manœuvrer, il la connait mieux que nous !*

L'elfe s'approcha de l'épaule de Ragnar pour lui murmurer à l'oreille :

"Je viens d'apercevoir un farfadet ! C'est pour çà que l'intérieur de la bâtisse est en aussi bon état ! Utiliser l'espace réservé aux visiteurs ne devrait poser aucun problème mais ... on prévient les autres ?"

Une fois qu'il avait prévenu Ragnar de la présence du farfadet, Edéo partit s'installer dans le dortoir. Laissant les autres faire comme ils voulaient, il installa son lit pour la nuit, sac contre le lit et armes à portée de main, on ne sait jamais.

A un moment, durant le rêve d'Edéo, un pic-vert attaquant un tronc perturba juste un instant l'histoire mais rien qui ne troubla vraiment son sommeil.

Un peu avant l'aube, l'elfe s'éveilla et après un rapide coup d’œil à son équipement, il se leva, fixant le fourreau de son épée à sa ceinture. Ragnar avait veillé. Il se mordit la lèvre.

*On aurait dû penser à des tours de garde ! Il faudra faire plus attention la prochaine fois !*

Alors qu'il faisait le tour des rations pour préparer un frichti pour le petit déj', laissant Ragnar somnoler un peu avant le réveil des autres. Après sa nuit de veille, Edéo pouvait bien faire les minutes qui restaient.

C'est alors que quelque chose dans le paysage le perturba. Il resta en arrêt, immobile, silencieux. Son attitude interpella Ragnar qui rouvrit pleinement les yeux, à l'affut. Edéo trouva ce qui le gênait. Il indiqua du doigt à Ragnar un point du mur. Un poignard y était planté, fixant au mur une petite feuille de papier.

Il se mit à chuchoter ...

"Çà n'était pas là hier soir, çà !! Comment on a fait pour ne rien entendre ?!?"

Sur le papier était écrit :

Edéo regarda dans son sac. Dans sa bourse, il lui restait bien quelques pièces de bronze.

"Ben ... ah si, j'ai de quoi payer la nuit !

Mais le relais avait un concierge ?!? Faudra demander à la gamine quand on rentrera si elle connaissait l'existence de ce barbu concierge vertement chapeauté ?

(Puis il se tourna vers Ragnar) Du coup, si on assainit la région, le relais peut redémarrer ses activités alors ? Non ?"

Levant les yeux vers le plafond, s'adressant à la fois à personne et tout le monde (espérant surtout que le Leprechaun l'entendait) :

"Dites ! Vous en dites quoi vous ? Le relais peut rouvrir ou pas ?"