Un poète à dos d'âne

L'espace d'un instant, le cavalier fut envieux. Ah çà, s'entrainer, se battre aussi, c'étaient des occupations plus courantes pour lui, mais baiser, çà, moins, il fallait bien se l'avouer.

Entendant leur conversation, un autre des cavaliers fit trotter son cheval vers son camarade et Tristan.

"Ta pintade a peut-être bien le nez creux ! (il se rapprocha un peu plus) Çà reste entre gens de métiers hein, surtout que y'a rien de sûr ... mais je crois que nos grands patrons craignent eux aussi un truc du genre ! Les entrainements s'intensifient depuis quelques jours, les patrouilles augmentent ! Et cà n'peut pas être à cause de la résistance d'Halruaa, 'sont trop peu nombreux et trop faibles, 'peuvent à peine défendre leur frontière ! Pourtant, certains semblent craindre quelque chose, jusqu'ici ! Z'avez dû voir les défenses en train d'être installées tout le long de la route qui mène ici ? C'est tout récent !

Mais comme d'hab', si les pontes ont des infos, c'est pas encore descendu jusqu'à nous ! On sera encore les derniers au courant !" rajouta le premier soldat.

"Bah vu comment on nous fait presser le mouvement de not' côté, il se pourrait que les pantouflards de ton roi découvrent incessamment sous peu une surprise qui les attend devant leurs fenêtres ! (fit le premier)

Mais si ta fanfreluche arrive à ses fins, il se pourrait que t'ai le temps de réveiller toute ta merdaille ! On ne peut que te souhaiter bonne chance (rajouta le deuxième)"

"Aucune info là dessus ! fit l'un

Mais vu tout ce qu'on a installé le long de la route, ya de quoi faire perdre pas mal de temps, et d'énergie à une armée conventionnelle ! fit l'autre

Et j'ai des collègues qui m'ont dit qu'ils construisaient les mêmes installations sur la route de Fort Malenn (l'autre accès à l'Empire en escaladant la chaîne de montagne leur servant de rempart)

Donc j'en déduis que çà viendra peut-être de l'est !"

"Il faut bien avouer que l'un comme l'autre ... vos deux empires sont se qui pourrait sembler être le meilleur allié possible l'un pour l'autre parmi vos voisins proches ! Cela devrait peser dans la balance ! Je sais bien que les optiques de vie sont différentes entre les dirigeants de ce pays et votre souverain ... mais bon ... si adversité il y a, il devrait y avoir des choses plus importantes que de rester sur ses positions !"

Le caravanier ne put s'empêcher un large sourire.

"Cet adage est l'une des devises d'Al-Hinna !

Il y a bien des Conseillers oui, mais quel est le type que vous rechercher ?

A Al-Hinna, ils seront plus portés sur les finances que la politique ou les arts militaires ! Après tout, l'argent n'a pas d'odeur et à Al-Hinna, on préfère passer des contrats que faire la guerre ...

A Castellac, il y aura plus de politiciens et de militaires, mais bon nombre sont plus ou moins approchés, voire affiliés au Culte d'Ambre, donc vous aurez la connotation religieuse en plus ! Certains sont des adversaires de ce culte et cherchent à lui nuire, d'autres sont au contraire des fanatiques ! Il y a même un haut prêtre parmi les plus proches conseillers du Comte ...

Quant à la troisième cité ... autrefois oui, des nobles, de puissants conseillers, ils ont combattu des armées, des dragons, bien des périls ont été repoussés dans les limbes ... mais çà c'était autrefois, il y a 10 ans, ils ont presque tous disparus sans laisser de trace, et la cité s'est vidée de ses habitants, comme endormie au fin fond de la forêt qui l'abrite ... Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus !"

"Pour reconnaitre tous ces signes, alors c'est plutôt du côté de la cité endormie qui faudrait se tourner ! Ou alors ... il parait qu'il y a un oracle au sommet d'une montagne ! Ces gens là savent voir ce que les autres ne voient pas !"

"De ?

Oh il y a toujours pas mal d'activité dans les grands ports de cet Empire ! Ils profitent d'une large façade maritime pour le commerce ou autre ! Mais c'est vrai que ces temps-ci, le trafic s'est intensifié ... Je ne sais pas si c'est un signe de quelque chose ..."

"Euh ... De ce que j'en sais, une montagne isolée, peu de voisins ...

Mais je ne connais pas bien ce pays, mon champ d'action est plutôt par ici ! Il vous faudrait l'un de mes collègues bien plus calé sur ce royaume là ! Hormis le patron, les plus experts sur ce royaume sont Croc et Jézabel !

L'un ou l'autre pourront bien mieux vous renseigner sur comment accéder à l'oracle ! Mais de ce que j'en sais, n'importe qui est censé pouvoir le rencontrer, alors je ne pense pas qu'il faille être un vrai alpiniste professionnel !"

A force de discussions, ils arrivèrent enfin en vue de Bronn Thundar. Et comme l'officier de la patrouille l'avait annoncé à Alfred De, il demanda aux gardes de l'annoncer auprès de l'officier du Poste de Garde.

Une fois en face à face, il lui désigna le diplomate d'Elagabal et lui demanda de le conduire auprès des notables de la cité. Ce nouvel officier se dirigea donc escorté par 2 de ses soldats vers le chariot où Alfred De était assis.

Pendant ce temps, les soldats qui discutaient avec Tristan prirent amicalement congé, comme il sied entre gens d'arme et retournèrent auprès de leur chef d'escouade en vue d'un départ imminent pour reprendre leur patrouille en montagne.

Ménélas quant à lui était occupé avec le douanier de faction à régler ses frais de passage pour toute sa caravane.

L'officier claqua des talons et salua de manière officielle et protocolaire.

"Je vous souhaite la bienvenue sur les terres de l'Empire d'Arianhrod !

Je peux vous mener jusqu'à l'Hôtel de Ville ! De là, le personnel du Bourgmestre vous recevra avec les honneurs dûs à votre rang ! Veuillez excuser cet accueil improvisé, nous n'avons pas été avertis de la visite d'un plénipotentiaire ! Nous allons vous faire escorter durant votre séjour en ville ! Avez-vous une suite qui vous accompagne ?"

L'officier attendit que les suivants d'Alfred De les rejoigne et il les mena vers le corps de garde mais au lieu d'y rentrer, il le contourna pour rejoindre une autre avenue. En passant à côté du casernement, 4 de ses hommes se dépêchèrent d'en sortir pour encadrer le petit groupe de piétons, protection improvisée au pied levé, mais pas oppressante nota rapidement Tristan. Aucun des 4 n'observait les 3 élagabaliens, leur attention était fixée sur la foule autour.

Une fois arrivée dans l'autre artère de la ville, l'officier fit signe à l'un des 4 qui héla un carrosse à louer. Après une rapide messe-basse avec le cocher, il fit à son tour signe à son officier qui proposa à Alfred De et sa suite de grimper dedans. Une fois installés tous les 3, l'officier monta avec eux demanda au cocher de les conduire à l'Hôtel de Ville, les 4 soldats s'accrochèrent sur les arceaux extérieurs du carrosse pour maintenir l'escorte.

L'attelage se mit en marche au petit trot, compte tenu de la foule présente dans les rues à cette heure ...

"Je l'ai déjà vu plusieurs fois en ville, il traine dehors, déclame des trucs dans ce genre là, et puis change de quartier ! La foule l'ignore en général ! Parfois il se prend une tomate pas fraiche au coin du museau, mais le plus souvent, ils l'ignorent simplement !

Il n'est pas bien méchant alors on n'intervient plus, on le laisse à ses divagations : les gardes qui ont tenté de s'en approcher n'ont jamais réussi à l'attraper de toute façon, il se fond dans la foule comme personne ... par contre, personne ne connait son nom du coup !"

L'officier resta un instant interdit.

"Euh ... à vrai dire ... je ne saurais vous répondre ...

Comme je vous le disais, on a fini par prendre l'habitude d'ignorer ce qu'il dit !

Enfin, je pense que si çà parlait de trucs violents, on s'en souviendrait quand même ... je crois ... C'est peut-être pertinent ... mais comme il est plus insaisissable que insistant, ses paroles ont tendance à faire pareil, passer leur chemin plutôt que de rester en tête !

Ah oui tiens ! C'est vrai çà ! C'est parce que vous avez tendu l'oreille à ses histoires que je me rappelle autant de lui ! En temps normal, je ne m'en serais même pas aperçu ! C'est bizarre çà !"

Ils arrivèrent enfin à l'Hôtel de Ville et tandis que l'escorte d'Alfred De était accueillie à la caserne se reposer et se sustenter, l'officier conduisit le diplomate à la salle de réunion. Là, tout ce que la ville avait de notables était présent. Comment avaient-ils tous été prévenus aussi vite ?

Le bourgmestre s'avança en premier et salua protocolairement Alfred De.

"Vous en avez fait du chemin jusqu'ici, Monsieur ! Des nouvelles à nous faire part de la part de votre Empereur ? Ou ... des nouvelles de nos contrées sont-elles arrivées jusqu'à vos frontières ?"

A bien y regarder, certains des notables semblaient fatigués. L'un d'eux s'affala dans un fauteuil en soupirant tandis que d'autres rangeaient à la hâte des papiers sur une table. En fait, ils n'étaient pas là juste pour sa venue, ils étaient dans cette pièce depuis un bon moment déjà. Sûrement avant même qu'Alfred De n'entre dans la ville.

"Quelques mots dites-vous ... à vrai dire ...

Nous aimerions avoir en préambule la position officielle actuelle de votre Empereur concernant les Terres Noires et le Royaume des géants ? Car de cette réponse va dépendre si je vous soufflerais juste quelques mots sibyllins, ou une longue tirade plus détaillée !"

Alfred De sentit l'attention de tous se porter sur lui. Tous les notables et même l'officier étaient littéralement pendus à ses lèvres.