Cour de Justice

La fillette regarda le Juge avec un mélange de bon sens et de naïveté.

"Mais... Non Messire Juge, j'avais trop peur pour partir. Puis si je faisais du bruit, il risquait de m'entendre, alors je me suis tue et j'ai pas bougé...

C'est une question de survie dans les quartiers où je vis."

Elle regarda le garde d'un air craintif.

"Et la milice ? Bah ! Ils en ont rien à faire des gens comme nous. Ils nous tapent dessus, ça oui, mais pour nous aider, y a plus personne. Trop peur de prendre un mauvais coup. Ils arrivent toujours après, quand tout est fini."

Elle resta un instant silencieuse avant de reprendre.

"Non, j'ai pas attendu pour la voler. Et je savais pas qu'il allait la tuer. Mais je voulais juste pas qu'il m'entende et me fasse... je sais pas quoi."

Elle haussa les épaules avec un fatalisme qui dénotait avec son âge.

"Après, tout était une question d'opportunités... Je sais qu'j'aurais pas dû, mais en même temps, je devais subir le châtiment alors que peut-être mon sauvetage était dans sa bourse ?"

Le Prêtre semblait perplexe.

"La mort par pendaison pour un viol Votre Honneur ? C'est plutôt inhabituel et d'une sévérité étonnante, surtout pour vous, d'autant plus que le prévenu peut faire valoir quelques circonstance atténuantes quand même...

Il me reste un souci majeur cependant : qui a tué cette pauvre femme ? Si on considère qu'en l'état l'ex-mari a avoué ses crimes et que la fillette a pris l'argent sur le corps refroidi, il nous manque un élément, vous ne croyez pas ?"

La petite regarda le garde, comme si elle attendait qu'il lui dise quoi répondre. Celui-ci resta de marbre. Elle regarda le Juge.

"Euh... oui m'sieur l'Juge. La dame était morte."

Le prêtre grogna de frustration et prit la parole.

"Mais tu as vu l'accusé la tuer ou non ? Quelqu'un d'autre n'aurait-il pas pu entrer entre le moment où il est parti et celui où la dame est morte ?"

Elle sembla se déliter quelque peu sous le flot de questions rendues agressives par la frustration de l'homme. 

"Je... Non... Je... ne... sais pas..."

Elle se mit à pleurer.

"Arrête de pleurer tout le temps, je ne fais que poser des questions, je ne vais pas te tuer...
- Mais... je..."


Elle redoubla de larmes.

Le Prêtre tourna la tête brusquement vers le Juge, surpris par son intervention dirigée.

"Votre Honneur, ce n'est pas ce que le témoin a dit. Elle a affirmé avoir vu l'homme égorger la victime.

Un viol n'est pas un meurtre. Il semblerait finalement que la vie de cet homme se joue sur un témoignage peu fiable.

Un viol est passible de prison, un meurtre de pendaison, dois-je vous le rappeler ?"

La fillette regardait tour à tour les deux protagonistes sans trop savoir que faire. Ses larmes s'étaient taries aussi vite qu'elles étaient apparues, laissant de longues traînées claires dans la crasse de son visage.

"C'est tout comme le M'sieur Vot'Honneur il a dit oui !" s'exclama-t-elle en hochant vigoureusement la tête.

Le Prêtre fixa longuement le Juge. Dans sa tête tournaient les possibilités et les lois. Il savait pertinemment que l'homme était une racaille et pensait que la perte de cet individu ne serait en réalité qu'un gain. 


Cependant, son perfectionnisme ne trouvait pas ici son aboutissement et cela lui laissait un goût d'inachevé. Il sentait bien que la fillette ne disait pas tout. Mais il n'en avait finalement pas grand chose à faire. Mettre ce type en prison pour des années où on devrait le nourrir coûterait bien plus que deux yeux fermés et un peu de corde.


Il sourit doucement au Nain.

"Très bien Votre Honneur. Je m'en remets à votre sagacité. J'espère que vous en ferez de même lorsque vous douterez et pas moi."

A charge de revanche donc, comme très souvent finalement. Entre les juges trop prompts à se fier à leur jugement et les Prêtres d'Ambre aux interprétations discutables de la Loi, la justice à Castellac prenait décidément bien des tours prévisibles ou pas...

Le verdict causa un choc certain à l'accusé, mais il resta étonnamment calme. Il resta un moment silencieux puis releva les yeux sur le Juge Tremmen. Il semblait apaisé ! Il prit une dernière fois la parole.

"J'sais pas pourquoi, m'sieur l'Juge, mais quèqu'part, j'sens qu'vous m'rendez service. J'me supporte plus depuis ce jour-là. Je ne rêve que d'elle, je ne pense qu'à elle et ce que je lui ai fait. Je ne l'ai pas tuée, mais je suis presque sûr que c'que j'ai fait l'aurait tuée au bout du compte. J'crois que j'l'ai bien mérité. 

Mais j'ai une requête, s'il-vous-plaît, M'sieur l'Juge Vot' Honneur. Ne laissez pas ce meurtre impuni. Elle ne mérite pas ça."

Abattu, l'homme se retourna et partit avec les gardes sans se départir de ce calme qui venait de l'envahir.


Alors qu'ils quittaient la salle d'audiences, le Prêtre prononça tout haut l'idée qui volait en silence dans l'atmosphère.

"Peut-être la mort est-elle plus miséricordieuse pour lui finalement. Du coup, le châtiment s'en trouve amoindri..."

Il se leva de son siège et s'inclina courtoisement.

"Nous nous reverrons demain Votre Honneur. Je vous souhaite une agréable journée... et un bel appétit."


Il quitta la salle d'audience, suivi du personnel, laissant le Juge seul.

La fillette regarda le Juge et se mit à pleurer. Cependant, alors que le Nain s'asseyait et préparait sa plume, n'ayant visiblement rien à faire de ses jérémiades, elle se calma immédiatement et un regard bien plus sombre, perspicace, trop vieux pour son âge, remplaça les larmes.

"Vous savez que si j'vous parle, j'suis morte en sortant. Qu'est-ce que j'gagne ?"

Elle réfléchit un instant.

"D'accord, je parle. Mais vous allez me sortir de ce trou hein ? Vous me renvoyez pas dans le cloaque hein ?"


Elle soupira. Elle voulait vraiment sortir de ce trou. Peut-être était-ce sa porte de sortie ?

Hééé ! Mais... Moi je m'en fous pas de mon avenir !

"M'sieur l'juge, vous avez vot' coupable. Vous vous foutez de mon avenir, moi aussi j'me fous du ot'. Mais je vis dans ces rues puantes tous les jours. Et je veux en sortir. Alors c'est donnant-donnant. Les noms contre une nouvelle vie."

Elle le regarda alors avec une moue boudeuse mais son regard était clairement décidé.

Elle eut un sourire sans joie.

"Une vie en prison m'sieur l'Juge ? Pour quelle raison ?"

Elle le laissa prendre une nouvelle plume.

"Je suis une enfant. J'ai déjà été battue, violée, enfermée, et plein d'autres choses encore. Si vous ne m'aidez pas, qui le fera ?"

Elle pencha la tête sur le côté.

"S'il vous plaît..."

"Faire quoi ? Je sais pas m'sieur l'Juge. Tout ce que je veux c'est sortir d'ici. Je peux faire plein de choses. Je peux aussi apprendre beaucoup. Si vous m'entraînez, je tuerai pour vous. Ou autre chose. Je voudrais vivre ailleurs. Dans une grande maison, avec de belles choses, où je serai libre de faire ce que je veux, d'aller où je veux. Où je mangerai à ma faim tous les jours. Où je n'aurai plus froid, plus peur."

Elle s'assit sur une chaise en face du Juge.

"Il y a le gros Bonnet d'âne, Janrel, Latovik, Gemme pourrie..."

Elle énonça une dizaine de noms puis s'arrêta.

"Vous m'aiderez hein ? Promis ? J'en ai encore des autres..."


Face à lui, Fiirn ne vit plus qu'une enfant terrifiée qui essayait de survivre...

La petite sembla se calmer quelque peu. Elle reprit plus doucement.

"Ben les ceux qu'je viens d'citer, c'est des miliciens. Il y en a encore d'autres, ceux de la Quatrième Faction de l'Est en fait.

Pour les gens quy zon tapés, ben il y a..."

Elle énuméra toute une floppée de noms avant de terminer par

"Mais je ne les connais pas tous. Je suis sûre qu'il y en a des autres que j'ai pas dits."

Elle balançait ses petites jambes trop courtes pour toucher terre tandis que le Juge notait les noms sans faire de pâtés.

"Vous savez plein de choses vous hein ? Ecrire, lire et tout ?"

"Retourner dans la Guilde ? Non M'sieur l'Juge. Y a bien quelques copains, si vous pouviez les aider aussi ce serait chouette, mais tous les autres, c'est que des méchants et des cons."

Elle leva vers lui ses grands yeux humides.

"J'veux bien vous dire qui qui est quoi, mais faut vraiment m'protéger, pask'ils ont des sacrés monte-en-l'air et tout l'bazar. Leurs assassins sont capables de venir me chercher, même chez vous."

Puis elle sourit timidement.

"Vrai ? Vous me prendrez comme pupille ? Vous m'apprendrez tout bien à lire, compter, vivre comme vous et toutes ces belles dames ?"

La petite prit la main du Juge dans la sienne mais ne la lâcha pas. Elle leva son regard enfantin sur lui et ajouta, pâle imitation ratée d'une femme d'affaires :

"Et un chat ?"

" Nous ne sommes pas entrain de faire ta liste de cadeaux pour ton anniversaire. Nous parlons travail et de rémunération. De toute façon il n'y a pas de bête à poil dans ma demeure"
Mes Botrucs en seraient terrifiés aussi, pensa t-il

Avec une petite moue boudeuse, elle soupira.

"Booon. D'accooord."

Elle lâcha la main du Juge.

"Je vous appelle comment ? Pas M'sieur l'Juge j'imagine..."

"Là-bas, c'est plus dangereux que ça n'en vaut la peine. j'ai rien qui m'attend, rien qui me manquera. J'vais attendre ici si vous voulez bien, M'sieur l'Juge."

Elle resta un moment assise à le regarder puis ajouta :

"Dites, z'avez pas un truc à boire et à grailler ? Et puis, z'êtes sûr que vous allez pas m'faire zigouiller par derrière ? Z'avez même pas d'mandé mon nom, comme si z'en avez rien à faire. Mais j'viens d'vous filer un bon tuyau pour vot' promotion pourtant..."

Elle hocha la tête, comme si les paroles du Juge ne la surprenaient pas. Elle n'avait même pas l'air déçue, juste fataliste.

"Non, je vais rester ici et pioncer un peu. Vot'fauteuil est bien plus confortable que ce que j'ai l'habitude. Puis je réfléchirai à d'aut' noms. J'peux ajouter un connard qui me les brise en plus ?"

Elle s'avachit un peu plus dans le fauteuil qui soudain sembla bien grand pour elle.

"Merci d'me donner une chance M'sieur l'Juge."

Dans le bureau


La fillette se pelotonna dans le grand fauteuil et se mit à réfléchir. "Au travail" qu'il avait dit. Mais la fatigue, le confort et la chaleur eurent rapidement raison d'elle. Elle s'endormit sans attendre le repas promis et se mit à baver doucement avant de glisser inconsciemment son pouve dans sa bouche en ronflouillant sereinement.


Au bureau des affaires


Le greffier leva la tête lorsque le Juge entra dans la pièce.

"Ah Monsieur le Juge ! Un tas de paperasse, ça oui. Mais les affaires ont été gérées ce matin. Il semble quand même qu'un cas d'extrême urgence vient d'arriver et, bien que ce soit un cas généralement dévolu à votre confrère, elle n'est pas là aujourd'hui.

Il y a eu une rixe du côté des hauts-quartiers. Deux jeunes gens se sont battus en duel. Le problème est que ce sont les fils des Seigneurs Dovren et Zinend. Le jeune Zinend est dans un état critique et c'est le seul héritier du Seigneur, qui est devenu stérile suite à une épidémie de grippe il y a plusieurs années comme vous le savez."

Le greffier fit lui aussi la moue.

"Je ne sais pas trop... Je crois que ça a un rapport avec la fille du Baron Divresse."

La fille du Baron... Elle, il en avait entendu parler. Une petite connasse de treize ans qui jouait de son joli minois et de la position de son père pour flirter avec un peu tout qui lui plaisait. Et elle avait un coeur d'artichaut en plus ! 

"C'est le Capitaine Dorchenzaak qui a procédé aux arrestations."

"A partir du moment où il y a eu un blessé grave, oui Votre Honneur."

" Je vais m'occuper de ces petits cons jaloux. Comme s'il n'y avait pas plus urgent." Il prit le dossier et sortit du bureau
Il alla voir le capitaine qui a procédé aux arrestations pour en savoir plus sur les faits (hrp : le capitaine fait parti de mes alliés, pour info )

(Je le sais, c'est pour ça que je l'ai mis, bien que tu n'en tiennes pas toujours compte... )

Le Capitaine Dorchenzaak était assis à son bureau, la mine soucieuse. Le rapport à venir promettait de froisser au moins une puissante famille, si pas deux, et il n'avait pas envie d'être celui qui encourrait leur ire.


Lorsque le Juge Tremmen entra dans la pièce, il soupira de soulagement. Il posa sa plume sur le buvard et se leva avec un sincère sourire de bienvenue.

"Votre Honneur. Soyez le bienvenu. J'imagine que c'est cette fâcheuse histoire de duel qui vous amène ?"

(Ah bon? flashback pour la suite )


" Oui tu as deviné mais avant que tu m'en parles, tu t'es occupé du braconnier? T'as pu l'échanger avec quelqu'un d'autre et l'emmener à qui tu sais?"

Narrateur a écrit:

Il baissa la tête.

"Que dira Madawen quand elle saura ?"


Madawen ? Madawen Dorchenzaak, l'épouse du Capitaine Karsten ?

( C'était quoi l'idée? Moi pas devin?)


" Tu me fais ça vite, avec les prêtres d'Ambre on ne sait jamais"



Le juge prit aussi une gorgée de gnôle


" Toujours seul et ça me convient. Sinon je suis entrain d'adopter une fillette des bas-quartiers qui va nous aider. Je t'en parlerais plus tard. Et toi? Ta femme, Madawen? Elle va bien? Que fait-elle maintenant?"