A la chasse au Dragon

Et les voilà repartis vers les contreforts, avec cette fois-ci une charrette en bien meilleure forme, tirée par 2 bons gros chevaux de trait et tout le bric à brac entassé à l'arrière.

La route semblait calme à cette heure de la journée ... de petits animaux venaient curieux observer sur le bord du chemin cet équipage particulier.

Soudain un vacarme de tous les diables les sortit de leurs réflexions. Presque sous leur nez, une dizaine de gobelins à la peau rouge jaillirent des fourrés à leur gauche et traversèrent le chemin, cavalant vers l'autre côté. Le dernier s'affala en plein milieu du sentier, juste devant les bêtes de l'attelage en panique. Une pierre rebondit à côté de lui, elle venait de lui fracasser le crâne.

L'instant d'après, 2 lycanthropes bondirent à leur tour des fourrés. Le premier fonça sans s'arrêter et presque aussitôt un nouveau cri de douleur de gobelin retentit. Le second marqua un temps d'arrêt en apercevant presque surprise l'attelage des deux compagnons sur la route. Mais en voyant qu'il était conduit par deux humains, il fit ce qui semblait être un sourire et un salut de la main et redoubla de vigueur pour rattraper son binôme.

Laissant les bêtes encore sous le choc et les 2 humains tout surpris, seuls avec juste un cadavre de gobelin écarlate en travers de la route.

Les bruits des animaux de la forêt revinrent assez vite. Mais malgré tout, ils gardèrent l'impression qu'on les observait. Pourtant, durant la journée, personne d'autre ne vint perturber. leur chevauchée.

Ils arrivèrent enfin en vue du camp. Ils ne remarquèrent pas tout de suite l'absence des sentinelles en amont du camp proprement dit car ils ne les repéraient jamais d'habitude.

Ils pénétrèrent dans un camp vide. Toutes les constructions faites pour durer (palissade, fondations du réfectoire, de l'infirmerie, de la tente d'intendance et de la tente d'état-major) étaient intactes. Les ouvertures en toile de ces bâtiments étaient nouées pour rester ouvertes afin de ne donner aucune raison à un animal sauvage de passage de griffer les toiles pour se faire un passage. Mais plus aucune des tentes amovibles, des casernements aux tentes individuelles, n'étaient là, toutes démontées et emportées.

La barrière du corral leur permit d'attacher l'attelage. Il était temps de faire l'inventaire. Dans le réfectoire, il ne restait rien, que le mobilier (tables et bancs). Tout avait été emporté jusqu'à la plus petite miette. Que des animaux de passage se baladent dans le camp, ok, mais çà n'était pas une raison pour les attirer volontairement par des denrées laissées là. Dans l'ancienne tente de Venec, rien non plus, il avait tout empaqueté et emporté. Dans l'infirmerie, seuls les lits de campagne étaient restés mais tous les pansements et onguents de soin avaient été récupérés. Dans la tente d'intendance par contre, tous les râteliers étaient certes vidés, mais 6 scorpions étaient posés, bien alignés, à côté d'un tonneau rempli de carreaux courts de baliste. Sur la table qui servait de comptoir à l'intendant, avait été cloué un vélin grâce à une dague fermement plantée. Sur le parchemin était écrit en très gros :

"Ces machines sont la propriété de la Compagnie d'Oghma, Comté de Castellac,
A qui de droit.
Venec."

Porter un scorpion à deux n'était pas bien difficile, surtout avec les poignets de transport. Mais une fois arrivés derrière leur charrette un autre problème se posa. La machine n'était pas pourvue de roues. Elle pouvait être accrochée à l'arrière, comme pour la tracter, mais elle allait se désagréger si elle devait trainer au sol. Il lui aurait fallu des roues.

Dans un coin de l'écurie du camp, ils trouvèrent une brouette. Au moins, il y avait de quoi faire un plancher et 2 roues, mais quant était-il de la résistance de la brouette au poids du scorpion ?

(NDLR : quelques ingénieurs nains, dont un asiatique, auraient pu avoir l'idée de fixer le scorpion en tourelle sur le chariot, mais là ... point de professionnel sous la main)

Laissant le scorpion là où ils l'avaient amenés, les 2 compères repartirent après avoir faire le plein dans leur charrette-à-tout-faire. Ils prirent plus ou moins la direction qu'on leur avait donné.

Alors que le sentier s'enfonçait tranquillement dans la forêt, ils en perdirent le fil au détour d'une clairière. Ils ne s'aperçurent de la disparition du sentier sous les roues du chariot qu'au bout d'un certain temps. Ils suivaient bien une sente pourtant, mais plus ancienne et moins pratiquée que le sentier du départ.

C'est alors qu'ils arrivèrent à une autre clairière créée par un coude d'un ruisseau. Au centre, ce qui devait être un feu de camp laissé à l'abandon. Enfin, à l'abandon ... des silhouettes semblaient toujours stationnées auprès du feu.

Après les habituels Hého de salutation, beuglages de loin vu que personne ne se retourne, approchage prudent, rebeuglage plus fort, il fallut se rendre à l'évidence, les occupants du camp les ignoraient proprement.

Et pour cause, à la faveur d'un rayon de soleil brisant les feuillages autour de la clairière, ils étaient suffisamment près pour voir d'où venait le problème : tous les campeurs, 3 assis qui semblaient regarder dans la même direction avec un regard de surprise, 1 debout à côté d'eux essayant de dégainer une arme, le visage cette fois-ci empli d'inquiétude, et quelques mètres plus loin, un autre debout semblant vouloir s'enfuir, le visage déformé par la terreur, étaient tous les 5 pétrifiés, de vraies statues de pierre. Le feu semblait, lui, ancien. Leurs tentes non loin étaient effondrées et leurs vivres complètement grignotées par les animaux de la forêt.

Depuis le temps, l'herbe avait reprit ses droits et s'il y avait eu d'éventuellement traces des pattes lourdes d'un basilic, on ne les voyait plus maintenant. Mais par contre, à un endroit de la clairière, les arbres adultes laissaient place à de jeunes arbres et à l'intérieur de la futaie, on pouvait apercevoir les troncs couchés des anciens occupants des lieux.

Une large bête était passée par là, avait couché des arbres pour se frayer un passage et une nouvelle végétation avait pris la place ensuite. Mais il était facile pour quelqu'un de taille humaine de passer entre les jeunes arbres et ainsi suivre le chemin laissé derrière lui par la bête.

Grudu et son pote passaient sans problème dans ce "passage" mais la charrette elle ne passerait pas, il allait falloir couper les arbrisseaux pour qu'elle les suive ... ou la laisser dans la clairière.

Suivre le passage de la bête fut finalement facile pour 2 piétons. Ils passaient entre les jeunes arbres en suivant la piste laissée par les troncs arrachés.

Après 30mn de marche, ils atteignirent une autre clairière. A flanc de plateau rocheux, une grotte assez large s'ouvrait face à eux. Visiblement, la bête s'était dirigée vers cette grotte. Un autre passage du même style donnait aussi dans cette clairière. Ce dernier devait être plus récent car aucun arbre n'avait eu le temps de pousser à la place de ceux qui avaient été arrachés.

" d'accord sur quoi?"
" Qu'on ne rentre pas dans cette grotte"
" Et pourquoi pas?"
" parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a dedans"
" Justement, si on n'y va pas on ne saura jamais"
" j'ai pas forcément envie de savoir"
" tu as peur?"
" Peur de mourir oui, comme les autres qu'on a retrouvé"
" Mais les autres c'étaient des débutants, Nous! on est des professionnels"
" Je suis pas sur"
" Allez viens"
Et Grudu partit le premier suivit de son pote qui tremblait des jambes et claquait des dents.

Il commençait à faire sombre au fur et à mesure qu'ils avançaient et bientôt on n'y verrait plus rien. Ce qui s'accentuait aussi, c'était un bruit répétitif de cliquetis, pas assourdissant mais les martellements semblaient se multiplier. A croire qu'une armée de mini-mineurs s'activaient dans cette grotte.

C'est alors qu'en tournant la tête, Grudu réalisa que les bruits étaient en rythme avec la mâchoire tremblotante de son acolyte. Cette grotte produisait différents échos des claquements de dents qui se répercutaient à l'infini ...

Avec l'écho particulièrement réverbérant de cette grotte, les pets de son acolyte devenaient grondement régulier. Non loin de là un peu plus loin dans l'ombre du tunnel, quelque chose bougea. Un grognement de désapprobation s'accompagna de pas lours mais rapides qui s'éloignèrent. Leur bruit était malgré tout couvert par le grondement multiple des pets.

On aurait dit que quelque chose qui était tapis dans l'ombre venait de fuir devant le roulement de tambour qui arrivait dans sa grotte.

La débandade de la créature stoppa nette les pets, tout aussi vite que les pets avaient fait fuir la bête.

Le tunnel était enfin plongé dans le silence. Si ce n'est un petit écho léger marquant le bruit de leurs pas.

Après 20 bonnes minutes dans un boyau tortueux qui semblèrent une éternité, un éclat attira la lumière de leur torche : trainant contre la paroi, un bouclier défoncé, la sangle arrachée. De convexe, il en était devenu concave suite à un choc violent. Dommage car autrefois il devait être bien poli, argenté, on devait s'y voir comme dans un miroir. Mais là, çà faisait plutôt effet miroir brisé. De l'autre côté, la sangle portait des traces de sang assez anciennes. Par contre, nulle trace du propriétaire de l'ustensile.

C'est alors qu'un autre bruit de pas lourd commença à monter, quelque chose approchait. mais était-ce cette fichue réverbération de l'écho ou il leur semblait bien que le bruit venait de l'autre côté, de là où ils venaient en fait. Une autre créature venait de rentrer dans la grotte et arrivait vers eux.

A moins de se retrouver nez-à-nez avec elle, il fallait bouger. Ils s'enfoncèrent dans le boyau malgré l'envie de sortir de là. A chaque nouveau coude dans le tunnel, la luminosité commençait doucement à revenir, comme s'ils se dirigeait vers une autre sortie. Et avec cette sortie, un espoir. La créature semblait avoir senti leur présence car le pas s'accéléra. Ils firent de même.

Ils débouchèrent dans une grotte aux proportions dantesques dont une large portion du plafond était effondrée. La lumière venait de là. Le sol était jonché de gravats dont certains plus gros qu'une maison. Mais le spectacle qu'ils découvrirent les mit en arrêt ... tous les trois d'ailleurs car à peine quelques secondes derrière eux deux, le basilik qui les suivait s'arrêta lui aussi.

Au centre de la grotte, dans une posture défensive, tous crocs dehors, babines retroussées, un dragon majestueux, ailes déployées en guise de défi, était figé. Son immobile peau de pierre portait la marque de cicatrices mais visiblement, c'est le regard des basiliks qui l'avait vaincu. Des ... car autour de lui gisaient éparpillés les formes allongées de 5 basiliks. De larges plaies ouvertes d'où s'était écoulé un sang pourpre, séché depuis un moment déjà, s'alternaient avec des marques noires de brûlure. Plusieurs de leurs épines dorsales ayant littéralement fondues.

Le basilik qui avait fuis devant les pets grondants était là lui aussi, dos à eux. Il geignait faiblement en poussant du nez le corps d'un des gisants. Lui aussi portait des marques de la même brûlure mais pas de plaie ouverte. Aucun des deux basiliks encore vivants n'avaient repéré la présence des 2 humains. Grudu attrapa son comparse par le bras et ils se dissimulèrent derrière l'un des énormes blocs.

Celui qui venait d'arriver sembla enfin sortir de sa surprise. Il poussa un rugissement de colère, visiblement adressé à la statue de l'énorme dragon. Lorsqu'il eut vidé ses poumons, son cri s'arrêta dans un souffle. Il regarda alors le blessé, qui ne lui avait prêté aucune attention, toujours occupé à secouer vainement les morts.

Le valide lui fit alors une bourrade pour le sortir de ses rêveries. S'en suivit un échange de grognements entre les deux basiliks et après un long moment, à contrecœur, ils repartirent l'âme en peine vers la sortie, laissant les deux humains seuls dans une énorme grotte dévastée après qu'un dragon en ai défoncé le toit pour finalement s'entretuer avec 5 basiliks.

Cette grotte devait sûrement servir de terrier, çà et là, des reliquats plus ou moins anciens de repas, des "gros tas de merde" et autres restes.

Quelque part, une conscience essayait d'émerger. Une boule de frustration et de rage sourde. Deux esprits simples (à l'échelle des dragons) mais purs (selon les critères des dragons) l'avaient frôlé. Ils seraient peut être sa bouée de sauvetage. Mais comment atteindre leur esprit ? Et surtout, comment le faire sans les effrayer ... ces deux petites créatures pouvaient peut être l'aider, mais il ne fallait pas les faire fuir.

Il fallait éveiller leur curiosité. Les faire penser à une noisette ? Ah non, çà ne s’appâte pas comme un écureuil. Comment çà pense un humain ? Il en était à essayer de rassembler des bribes de ses souvenirs pétrifiés lorsqu'il sentit qu'ils s'éloignaient déjà. Non, pas si vite, revenez ... Une idée lui vint.

Alors que Grudu et son acolyte reprenaient le chemin du tunnel dans l'autre sens, une goutte d'eau d'infiltration tomba du plafond et fit un tintement métallique assez fort qui leur fit penser instantanément (allez savoir pourquoi) à une épée magique lorsqu'elle arriva au sol. A quelques mètres derrière eux, presque entièrement recouvert par les gravillons, un objet brillait faiblement.

Le goutte-à-goutte tombant du plafond avait dégagé une petite portion de la lame d'une épée, cachée par les graviers. Des runes courraient sur la surface de cette lame. Elle avait l'air ancienne, son tranchant prouvait qu'elle avait été utilisée mais aucune trace de rouille ou d'usure du temps n'était apparente.

La conscience se calma. Bien, leur curiosité les a retenu. Maintenant restait le plus dur, comment pouvaient-ils le sortir de là. Les humains sont corruptibles, l'appât du gain peut être. Mais tandis qu'il essayait d'effleurer leurs pensées par des images d'énormes tas d'or, le pétrifié ne pouvait pas se douter que les esprits de Grudu et son pote étaient plutôt simples, et pas vraiment cupides. Le temps qu'il réalise qu'il ne les piégerait pas comme çà, il serait trop tard.

Comme un poisson qui décroche le ver de l'hameçon et se barre avec, ils prirent l’appât sans pour autant tomber dans le piège.

L'épée fut facile à dégager des gravats. Une belle épée longue qui visiblement n'avait pas souffert des affres du temps. Depuis combien de temps était-elle là ? Et pourquoi ne l'avaient-ils pas repérée à l'aller ?

Confus et embrouillé, l'esprit draconique essayait de trouver un levier dans leur esprit pour les attirer vers lui mais ne parvenait pas à pénétrer les méandres de leurs pensées.

Hormis quelques gargouillis dans le ventre, il n'obtint rien de mieux et les sentit s'éloigner de lui tandis qu'ils prenaient le chemin de la sortie des grottes.

Ils arrivèrent dehors sans encombre.

Les traces fraiches de la fuite des 2 basiliks survivants étaient facilement repérables, même pour un pisteur amateur. Ils se dirigeaient vers la rivière, comme pour s'éloigner de la zone. En tout cas, à l'opposé de là où les 2 quêteurs avaient laissé leur charrette.

Tout occupé qu'ils étaient à se décontracter le "paisible", un léger bruit attira leur attention. Une sorte de faible pleurnichement. Il ne leur fallu que quelques mètres en dehors du chemin pour trouver derrière un fourré l'origine du bruit :

Une jeune femme vêtue d'un caftan en partie déchiré sanglotait. Elle était agenouillée près d'un homme portant de longs vêtements lui aussi, mais qui était étendu dans une mare de sang. Un long sabre recourbé couvert de sang à côté de lui, et un bouclier à la forme très bizarre mais pour l'heure fendu en deux à quelques mètres. Presque juste en face du corps du guerrier, un ogre lui faisait face, vêtu lui aussi de vêtements du désert, un turban défait sur la tête. Assis par terre, le dos appuyé contre un arbre, plusieurs larges entailles dans le torse et les bras. Lui aussi baignait dans son sang. Un rictus de haine figeait pour l'éternité son visage de trépassé.