Bois-sombre

Régulièrement, de petits animaux s'approchaient près de leur campement. Si le guerrier semblait les intimider, la présence d'Anima les rassurait et ils en oubliaient la plus élémentaire des prudences.

Spontanément, certains venaient même déposer une partie de leurs chasses. Un jour, c'est un merle qui déposait quelques baies sauvages, un autre, un écureuil qui donnait une noix, un autre encore, un martin-pêcheur déposait à la lisière du camp un poisson pêché du matin.

Les songes d'Anima étaient agités. La tension ressentie, les arbres essayaient de dire quelque chose. Des visions de guerre lointaine, une réticence presque palpable. Des évènements qu'elle ne comprenait pas.

Cependant, Jad fut le premier à ressentir un changement alentours. L'attitude des animaux de la forêt avait changé. De reconnaissants, ils semblaient être devenus protecteurs. A chaque fois qu'il s'approchait d'eux, les animaux s'éloignaient et se fondaient dans la forêt, mais lorsqu'il les observait de loin, chacun à son échelle, semblait guetter et surveiller vers l'extérieur de la zone. Loin dans les frondaisons des arbres, des araignées géantes avaient tissés toiles et cocons mais jamais elles ne descendaient jusqu'au sol. Nul doute que si quelque chose d'extérieur pénétrait dans cette zone de la forêt, elle ne pourrait pas passer sans être rapidement repérée, même venant du ciel.

Soudain, un matin comme un autre, 2 écureuils, sortis de nulle part, bondirent sur les épaules de Jad. Ils semblaient paniqués et regardaient dans la même direction.

A la limite de son champ de vision, il y avait des mouvements dans les feuillages. Plusieurs formes semblaient progresser prudemment, dans une semi-discrétion. Elles n'avançaient pas directement vers sa position mais nul doute qu'elles allaient finir par le repérer. Pour l'heure, elles ne semblaient pas cependant avoir repéré sa présence. L'avertissement des écureuils lui avait donné un avantage. Réalisant qu'il les avait aperçus et qu'il était équipé, les rongeurs jugèrent que leur participation était terminée et ils bondirent dans des arbres, disparaissant aussi vite qu'ils étaient venus.

Toujours inconscientes de sa présence, les formes se dévoilaient au fur et à mesure de leur progression.

Un petit groupe avançait assez groupé. En première position, un homme à la peau grise, vêtu de cuirs lacés et portant un arc long dans le dos. Venaient ensuite 3 orcs équipés d'armures de cuir et métal mêlés, armés de haches de boucliers. Derrière eux, avançant en se dandinant de droite et de gauche, un orc sauvage, vêtu seulement d'un pagne, portant colifichets et piercings, couvert de peintures de guerre, et armé uniquement d'un monumentale marteau de guerre dont la masse était faite d'un cylindre de bois massif gros comme un billot. Une petite unité mobile et discrète, certainement des mercenaires. Leurs attitudes n'avaient rien de pacifique, ils avançaient, concentrés, armes en main.

L'humain de tête passa le premier non loin de leur arbre. Il scrutait les fourrés et les branches basses des arbres, mais n'étudiait pas une éventuelle piste au sol, archer mais pas éclaireur visiblement. Sa peau grise détonait pour la région. En bandoulière, son arc long n'était clairement pas utilisable dans cette partie de la forêt, difficultés à manier, à viser à cause des obstacles, et pour une flèche, encore plus à trouver une trajectoire. Son carquois était encore plus étonnant, au vu de ce qui dépassait des flèches, elles devaient être excessivement longue, d'un diamètre normal de flèche mais presque aussi longues qu'un trait de baliste. Il n'était définitivement pas fait pour le crapahutage forestier.

Un peu dispersés pour couvrir une plus grande largeur de terrain, venaient ensuite les 3 orcs. Ils venaient visiblement de la même ethnie et la facture de leurs armures légères et de leurs armes était identique.

L'orc sauvage avançait ensuite, à un rythme un peu plus lent. Presque imberbe, ses muscles saillants luisants de sueur lui donnait une allure de bodybuilder. Vu de près, on ne pouvait pas louper l'énorme dent de prédateur qui lui servait de piercing nasal. Ses colifichets primitifs étaient tous issus de trophées prélevés sur des êtres vivants de toute sorte. Il s'arrêta non loin de l'arbre où étaient dissimulés Anima et Jad. Il semblait moins attentif à ce qui se passait devant, faisant certainement confiance aux 4 autres.

Tandis que les 4 premiers s'éloignaient, lui restait là à attendre on ne sait quoi.

C'est alors qu'on les entendit avant qu'il apparaissent : La respiration rapide et rauque de canidés. Sortant des fourrés, un barbare couvert de fourrures et de cuir clouté tenait en laisse par des chaînes deux énormes molosses à la peau semblable à du cuir de taureau, mais d'un rouge sombre, comme du magma refroidi.

La brute semblait attendre le maître-chien. Arrivé à portée, ils échangèrent quelques paroles d'une langue gutturale à vous écorcher les oreilles. L'orc repartit dans la direction qu'avaient empruntés les 4 autres. C'est alors que l'odorat des molosses repéra quelque chose. Ils levèrent la tête et l'espace d'un instant, croisèrent le regard de Jad ...

Les 2 molosses émirent un cri plus proche du rugissement que de l'aboiement. De la fumée s'échappait de leurs babines et de leur museau. Surpris, le barbare regarda d'abord tout autour de lui avant de réaliser que ses molosses sataniques plantaient leurs griffes dans le tronc de l'arbre. Levant la tête à son tour, il aperçut les 2 arboricoles.

Il beugla un ordre sec et rapide tout en lâchant les chaînes des bêtes. Jad était trop près, quelques mètres en chute libre, çà va trop vite, il tendit les mains dans le dos pour se dépêcher de décrocher sa hache. L'orc sauvage venait justement d'entendre l'ordre mais il ne lui serait d'aucun secours, même en arrivant au pas de course. Quant aux 4 autres, ils étaient déjà hors de vue derrière quelque fourré.

La course-poursuite avait éparpillé encore plus la bande. Les 4 orcs avaient rejoint le maître-chien et avec leurs haches, ces 5 là essayaient de maintenir le contact en se frayant un chemin à travers cette végétation hostile.

Évidemment, ils avaient vite distancé l'orc sauvage. Au bout d'un moment, il s'arrêta carrément, essoufflé. C'est alors qu'une énorme ombre s'abattit sur lui. Il eut juste le temps de se retourner qu'il vit un grizzli qui venait de se redresser juste à côté de lui. Un premier coup de griffes lui laissa d'énormes plaies sur le torse. Vint en réponse, tandis qu'il hurlait de douleur, un large coup fouetté de son marteau de guerre qui provoqua un craquement d'os et un hurlement de la part du grizzli. La deuxième patte retomba à son tour et brisa en deux le manches de l'imposante massue de bois. Les 2 colosses blessés et furieux se jetèrent alors au corps à corps, s'empoignant l'un l'autre, sauvages et incontrôlables.

L'humain était resté en retrait de la chasse, et entre les mouvements surnaturels de la végétation et l'attaque surprise de l'ours, il était clair pour lui que l'adversité ne se limitait pas à ces deux fuyards, et qu'ils étaient dans une position franchement défavorable. Alors qu'il allait décider d'abandonner son équipe, il sentit une présence hostile proche de lui. Un regard rapide et un bond pour se jeter de côté lui permirent d'éviter l'attaque d'un puma. Mais déjà, le fauve reprenait ses appuis. L'archer aussi et s'engagea un jeu de chat de la souris entre le félin et sa proie qui esquivait jusqu'ici ses attaques en s'éloignant aussi vite qu'il pouvait de la zone. Lui aussi était doué pour se déplacer rapidement et le puma avait du mal à porter de nouvelles attaques.

Par contre, concernant les molosses, c'était une autre paire de manches. Les barrières végétales dressées contre eux les ralentissaient à peine, comme si le contact de leur peau cuisait littéralement écorce et sève. Pas de risque d'incendie pour l'heure, mais les branchages racornis et calcinés se brisaient comme du verre face à la musculature des canidés de l'enfer qui réussissaient assez bien à suivre le rythme de Jad. Décidément de vraies aberrations de la nature ces engeances là.

Pris de panique, les molosses mordaient les branches qui passaient à portée de gueule, et griffaient l'écorce des arbres, mais l'étau devenait de plus en plus serré. Il y eut des craquements d'os brisés lorsque les membres se retrouvèrent dans des espaces où il n'y avait plus la place, des glapissements de douleur puis plus rien. Étouffés au milieu d'un "mikato" de troncs blottis les uns contre les autres, les 2 chiens d'enfer complètement désarticulés avaient rendu leur dernier souffle.

De nombreux arbres portaient des traces et des lacérations calcinées mais rien de mortel que leur sève ne pourrait soigner avec le temps.

Arrivés dans une portion beaucoup trop dense, les 5 coupeurs de haches avaient bifurqués imperceptiblement pour contourner l'obstacle mais au bout de quelques mètres, ils durent se rendre à l'évidence : ils avaient perdu la piste, autant des fuyards que des molosses d'ailleurs. Les dernières traces indiquaient pourtant qu'ils s'étaient engagés dans une direction, mais seul un écureuil aurait pu y passer. Ne comprenant pas ce qui s'était passé et pris par leur trajectoire de contournement, ils s'étaient trop éloignés.

En désespoir de cause, le maître-chien ordonna la fin de la poursuite et avec ses 4 guerriers, ils essayèrent de repartir dans l'autre sens, pour au moins essayer de retrouver l'orc sauvage.

Les 4 guerriers orcs et le barbare retrouvèrent enfin l'orc sauvage. Il était gravement blessé mais vivant, à côté de lui gisait l'ours, désarticulé. Les orcs aidèrent leur congénère à se relever. Le maître-chien qui désormais avait tiré un trait sur l'idée de voir revenir vivants ses chiens d'enfer n'avait pas l'air de se préoccuper de l'état de l'orc sauvage, mais pour les 4 autres, avoir vaincu un grizzli à mains nues était un exploit digne d'être conté. Ils le prirent en charge. Non loin, ils trouvèrent des traces de l'altercation entre un fauve et leur archer mais nulle trace de l'humain.

"Cette forêt n'est pas abandonnée du tout ! Elle se défend même très bien ! Aucune idée de ce qui peut trainer par ici mais on en a assez vu ! Aller! On se casse ! Retour au camp de base ! On a un rapport à faire !

Ok !" firent les 5 orcs en chœur.

Ils repartirent sous la surveillance discrète des écureuils et des oiseaux.

Pendant un moment, il n'y eu rien, puis les branches semblaient bouger doucement, comme si une brise soufflait dans le sous-bois. Mais il n'y avait pas de vent.

Se détachant lentement du paysage, comme sorties d'un rêve, des silhouettes jouaient aux ombres chinoises avec les lumières filtrant à travers la forêt. Des créatures humanoïdes aux formes féminines s'avancèrent lentement vers eux. Elles étaient faites de bois mais dépourvues de feuilles. De longs doigts griffus terminaient leurs mains. Ces esprits des forêts les fixaient en silence de leurs yeux phosphorescents. Leurs corps sveltes faisaient un peu plus de 2 mètres (sans compter les branches formant leur chevelure)

Celle qui était la plus avancée sembla frissonner. Les autres se stoppèrent aussitôt. L'un des écureuils qui faisaient le guet descendit en petits bonds successifs de son arbre et se posa sur l'épaule de la meneuse des dryades.

Elle inclina la tête en direction de Jad. Elle ne fixait pas directement Anima, au contraire des autres dryades qui semblaient l'observer discrètement derrière son épaule.

"Je me nomme Drycha [prononcez Drykka] ! Nous ne voulions pas vous effrayer ! Mais vous avez raison guerrier, nous sommes en guerre ! Et mes sœurs et moi allons vous aider à la protéger ! C'est notre devoir !"

Les autres dryades observaient le manège d'Anima, comme hypnotisées et lorsqu'elle les frôla en faisant apparaitre des bourgeons sur leur peau, des murmures admiratifs parcoururent leurs rangs. Drycha la laissa faire sans trop la regarder, préférant concentrer son attention sur Jad. Mais lorsque ses sœurs se mirent à murmurer, un petit sourire se dessina sur son visage impassible.

"Oui, nous ne sommes pas de cette région de la forêt ! Normalement, nous vivons plus au nord, à la lisière ! Jusqu'ici, nous avions laissé les animaux de cette région vous protéger mais je crains que çà ne suffise plus ! (l'écureuil posé sur son épaule semblait écouter ce qu'elle disait, comme s'il comprenait) ... Sa vie est trop précieuse ! Plus précieuse que les nôtres ! Nous nous en remettons à vous, guerrier !"

Drycha eut un léger rictus à l'évocation de l'électricité dans les racines.

"Les esprits de la nature peuvent communiquer entre eux par les racines ! Il est normal que l’Élue puisse capter ces messages !

Des puissances de destruction se sont liguées ensemble et tout le continent est en danger ! Dans nos régions, de petits groupes épars sillonnent les terres, je ne sais pas si c'est juste pour piller, pour faire du repérage, ou pour toute autre œuvre machiavélique ! Mais dans d'autres régions plus au nord et à l'est, ce sont des armées entières qui sont passées à l'offensive ! Et la nature paie un lourd tribu !"

"Pister ceux-là sera facile, certaines de mes sœurs les suivent déjà à distance ! S'il y a d'autres camps dans la forêt, nous les trouverons !

Au même titre que les racines-mères sillonnent le continent, la rivière de vie existe partout ... Les messages nous proviennent de très loin ! Les armées hostiles signalées au nord et à l'est sont très distantes et engagées dans des conflits entre d'autres pays !

Mais vous n'avez pas tort ... ce royaume risque malgré tout d'être pris en étau ... un jour ou l'autre ... A moins que les adversaires actuels de ces armées réussissent à résister !"

Drycha émit un cri strident, comme celui du vent qui s'engouffre dans des branchages, et les autres dryades eurent un frisson qui les sortit net de leurs rêveries. Elles partirent à toutes enjambées à travers la forêt, se faufilant entre les arbres en frôlant, caressant les écorces sans en heurter un seul, guidant Jad et Anima vers leur proie.

Par moment, de petits animaux assez agiles pour s'approcher du groupe en mouvement (rongeurs, oiseaux), venaient frôler les dryades, comme pour leur chuchoter quelque nouvelle, avant de repartir dans leurs cachettes.

"Nous devrions vite leur tomber dessus ! Ils marchent et ne connaissent pas la forêt comme nous !" commenta Drycha.

Les dryades entouraient Ja et avançaient à son rythme. Si quelqu'un essayait d'atteindre Anima, il lui faudrait littéralement passer sur le corps de beaucoup de monde. C'est vrai qu'à bien y regarder, elles étaient plus nombreuses à courir autour de lui qu'au départ. Comme si d'autres les avaient rejoints en cours de route. Il put distinguer celles du groupe d'origine car de jeunes feuilles avaient poussé sur leur corps au contact d'Anima alors que les autres dryades étaient encore "sans feuille".

Devant eux, la forêt semblait s'arrêter. Les dryades ralentirent et se répartirent tout du long de la lisière. Un fleuve coupait la forêt en deux et de chaque côté, une large zone de prairie séparait les berges et la lisière de la forêt. Les "explorateurs" avaient établi leur camp à quelques mètres de la berge. Lorsque le groupe des dryades s'arrêta dans le sous-bois, les survivants venaient de sortir du bois et étaient accueillis par le reste de leur bande, un mélange d'orcs et d'humains à l'allure barbare. Le maître chien s'agenouilla devant un maraudeur un peu plus baraqué que lui, arborant des piques à trophées dans le dos, certainement un chef tribal. Un orc portant un tablier crasseux, qui avait dû être blanc dans une autre vie, donna des ordres aux orcs qui portèrent l'orc sauvage blessé sous une tente.

"Voilà ... ils nous ont conduit à leur camp ! Comment procédons-nous ?"

L'attitude de Drycha pouvait sembler froide, abrupte, mais il était clair dans sa façon d'agir et de parler qu'elle agissait en tant que chef et porte-parole des dryades mais qu'elle plaçait Ja, en tant que protecteur d'Anima, au dessus d'elle hiérarchiquement. Elle ne demandait pas son avis de guerrier que pour la forme, elle semblait attendre des ordres.

Elle hocha le menton.

"C'est bon pour nous ! On va se répartir le long de la lisière !"

Drycha fit quelques signes et les dryades se fondirent en silence à la végétation, faisant corps çà et là avec les troncs des arbres. Un œil non averti s'y laisserait prendre. Drycha elle prit la forme d'un arbre plus large que sa véritable apparence, cachant ainsi Anima derrière elle.

"Nous sommes prêtes !"

Branle-bas de combat, cris d'alarme. Il ne fallu pas beaucoup de temps pour que tous soient sur le pied de guerre.

Le chef de guerre beugla un ordre bref et les guerriers orcs avancèrent les premiers, se déployant sur les côtés avec l'objectif assez transparent de vouloir encercler Ja. Un second ordre et ce furent les barbares qui s'agitèrent, restant groupés, en arrière. Si la "manœuvre subtile" des orcs échouait, les bourrins de base chargeraient dans le tas.

Le chef et le maître-chien sans chiens restèrent en retrait.

Les 2 barbares s'écroulèrent, salement touchés. Toujours vivants mais hors de combat pour le moment. Ce geste à lui seul suffit à enrager les autres barbares. Et lorsque le cri de défi retentit, ils s'élancèrent comme un seul homme vers Ja. Lorsqu'ils dépassèrent les orcs, ne voulant pas être en reste, les peaux-vertes chargèrent à leur tour, et ce fut toute la troupe qui fonça sur lui.

Dissimulée par Drycha, Anima vit les guerriers furieux les dépasser et se ruer à la poursuite de Ja. C'est alors qu'un enfer de branches perforatrices, de lierres entravant et de ronces écorcheuses se déchaina sur les orcs et les barbares. Les chairs et les armures étaient lacérées dans un concert de cris de douleur.

Du campement sur la berge, le chef et le dresseur ne virent que des branchages qui s'agitaient entre les arbres, comme soumis à une tempête. Puis plus rien, plus d'agitation, plus de cris. Ils se regardaient l'un l'autre en se demandant qui pouvait être cet ennemi invisible qui venait certainement de tuer tous leurs hommes.

Entretemps, l'éclaireur homme-gris qui avait fui durant la patrouille, avait fait un large détour pour revenir du côté du camp. Il revenait prudemment, le long de la berge, sur l'autre rive de la rivière. A l'aide de lentilles ajustées dans un tube de cuir, à la façon d'une longue-vue, il observait la scène.

Décidément, il avait eu raison d'abandonner les autres. Toute cette expédition était condamnée. Il n'attendit pas le dénouement de l'affaire et repartit en sens inverse. Au diable le contrat, au diable les barbares et les orcs, au diable le commanditaire, il valait mieux changer d'identité, de vie, de ville et d'employeurs.

Quant aux survivants du campement, ils grognaient de frustration. Le dresseur se retenait pourtant, essayant de réfléchir un peu à la situation. Pour le chef de clan par contre, cette défaite était au delà de l'humiliant. Il entrait doucement dans une rage sourde. Il rugit à son tour, à la mode barbare. Déchainant sa rage, il fit tinter ses 2 lames l'une contre l'autre en signe d'acceptation du défi et avança lentement vers Ja.

"C'est un beau jour pour mourir !"

Le dresseur aurait aimé le retenir mais il savait que son chef n'écouterait pas, dans cet état.

Les dryades observaient en silence, attentives, camouflées à la lisière.

Lorsqu'il ne fut plus qu'à quelques pas de Ja, le chef barbare s'élança pour engager le combat, acier contre acier.

Le dresseur lui observait la lisière de la forêt, tout cela ne valait rien qui vaille. Toute cette histoire était truffée de pièges.

Drycha n'aimait pas l'idée que pendant que Ja était occupé dans un duel avec un mec de son acabit, un fourbasse l'attaque en traître. Il épiait partout, trop méfiant pour l'avoir comme les autres. Elle jeta un coup d’œil pour vérifier que ses sœurs formaient une bonne défense autour d'Anima et se porta à son tour à la lisière.

"Toi ! Fous leur la paix ! T'as un problème bien à toi ! (Elle s'avança dans les herbes hautes)

Abomination ! Maudite créature ! Mes hommes ! Mes chiens ! C'est à cause de vous ! Ce guerrier ne peut pas avoir tué tout le monde à lui tout seul !"

Maintenant qu'il avait identifié et désigné son problème, le dresseur fonça sur Drycha qui émit un cri strident surnaturel et lança toute sa fureur végétale  à la rencontre de la bestialité du barbare.

Le chef barbare faiblissait. Plongé dans sa rage, sa volonté restait intacte, mais il ne s'apercevait pas que les multiples blessures légères commençaient à porter leurs fruits. Ses coups devenaient lentement moins dangereux et Ja lisait de mieux en mieux leurs trajectoires. Le moment de la faille propice approchait à grands pas.

Le dresseur avait voulu dominer le combat à mi-distance mais il s'aperçut vite que les doigts de bois griffu de Drycha pouvaient avoir la même portée que les lanières de son fouet. Ils se tournaient autour et tentaient à la fois d'esquiver les coups de l'autre tout en donnant les siens. La plupart des jeunes feuilles qu'Anima avait fait pousser sur elle étaient tranchées ou coupées, mais sa peau d'écorce semblait encaisser pour le moment. Pour le dresseur, ses vêtements étaient lacérés en plusieurs endroits et son armure couverte de griffures. Quelques estafilades saignaient, mais ce qui lui faisait le plus mal, c'était les cris suraigus qu'elle poussait lorsqu'elle attaquait.

Les autres dryades observaient silencieusement avec admiration leurs deux champions. En cercles concentriques autour d'Anima, elles attendaient de savoir quoi faire.

Déconcentré par les racines qui l'entravaient, le dresseur quitta du regard Drycha l'espace d'un instant. Elle s'élança et ses doigts s’allongèrent. les 10 aiguilles de ses doigts griffus transpercèrent le torse du barbare.

Quant au chef barbare, emporté par son élan frénétique, les racines le déséquilibrèrent. Il ne put que pousser un hurlement de frustration lorsque le coup final de Ja s'abattit sur lui.

Le calme revint vite, les oiseaux se remirent à chanter.

Les mains de Drycha redevinrent inoffensives et elle s'autorisa un regard vers Anima. Toujours protégée, elle souffla de soulagement et rejoignit Ja.

"Ils ne raconteront jamais ce qu'ils ont vu ici !"

"Je le crains en effet ! Ceux-ci étaient les premiers éclaireurs mais d'autres finiront par venir ... Et les messages véhiculés par les racines de la Terre ne sont pas rassurants, bientôt une armée pourrait bien arriver !

Un plan ... pas vraiment ... notre soucis premier à mes sœurs et moi était d'arriver jusqu'à l’Élue et de mettre nos vies à son service !

Pour ce genre de groupe, nous sommes assez, mais si des dangers plus grands viennent ... il faudrait trouver un lieu pour vous seriez plus à l'abri ! Peut être un endroit où quelqu'un pourrait aider l’Élue à développer la pleine maitrise de ses pouvoirs !"