Un poète à dos d'âne

Le temps de sortir de la cité, le convoi de Ménélas accompagna le poète et son équipe. Ayant récupéré ses lourds animaux de trait, il rapatriait au plus vite tout son personnel loin de cet endroit bizarre, il avait hâte de rentrer à Al Hinna, ses coupes-gorges et ses marchés aux esclaves étaient par certains aspects plus civilisés qu'un parterre de politicards.

Lorsqu'ils furent au dehors, Ménélas souhaita que l'entreprise d'Aldred De soit couronnée de succès et son convoi se dirigea vers la côte, objectif, refaire le chemin inverse par la mer.

"Oui, nous avons laissé notre bateau à Port-aux-Crânes ! Ces bestiaux (il montra les grosses bêtes de somme de son convoi), c'est pratique pour tirer de lourdes charges, mais çà n'embarque pas sur n'importe quel bateau !

Et vous, quelle direction prenez-vous ?"

"Oui bien sûr ! Avoir parmi nous le plus illustre poète de l'Empereur Elagabal est un honneur pour les humbles commerçants que nous sommes !"

Par devers lui, Ménélas pensait aussi qu'avoir près de lui l'une des personnalités influentes de l'empire le protégerait, peut être, d'éventuelles représailles de la part de Tippu Tip ... du moins tant qu'il n'était pas sorti de l'empire ... Au delà, se seraient les gens d'Arianhrod qui dicteraient les règles ...

"Nos gros bestiaux ne vont pas plus vite qu'un âne ! Pour l'allure, çà ira !

Si vous craignez pour la direction, on peut attacher ses rênes au chariot bâché si vous voulez ! Et d'ailleurs, l'intérieur du chariot sera peut être plus confortable que sur la selle de votre âne ! Il y a des coussins à l'intérieur ! C'est le chariot qu'on a utilisé à l'aller pour transporter les filles ! Vous y serez sûrement plus à votre aise !"

Ménélas était pressé de retrouver l'abri relatif du sable du désert. Un buffet, pourquoi pas, mais si çà n'est pas trop long alors ... Puis il écouta le souhait d'Alfred De ...

"Bah ... j'peux pas parler au nom du pays ... mais mon patron ne vend pas que des esclaves et des statues, il s'y connait aussi dans la "circulation" des informations ! Y'a sûrement moyen d's'entendre pour établir ce genre de relations ! Quand on s'ra rentrés à Al-Hinna, j'pourrais toujours proposer votre demande ! Ils me diront !"

Il fallait avouer que Venec préférait s'entourer de collaborateurs ayant un certain standing. Qu'il s'agisse de vente d'armes, d'esclaves, ou une quelconque autre de ses activités, il avait l'habitude de laisser les rustres à ses concurrents.

Croc ou Jézabel, à qui il avait délégué la gestion d'Harmadrya et Castellac ; Hector son arrangeur à Al-Hinna ou Ménélas son chef de convois lors des transports importants, étaient tous aptes à côtoyer les gens de la bonne société tout comme ceux du caniveau sans faire d'impair.

"Sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas ... Mais j'ai l'impression que les ambiances sont ... houleuses à la cour de l'Empereur ! Çà ne doit pas être évident tous les jours de prendre les bonnes décisions !"

Et donc le convoi de Ménélas reprit sa route, à l'inverse du chemin qu'ils avaient pris à l'allée, en direction d'Arianhrod et du port où ils avaient laissé leur bâteau. Effectivement, l'âne d'Alfred De n'eut pas à rougir du rythme des gros pachydermes reptiliens, et leur allure régulière n'allaient, à priori, pas l'épuiser.

Leur route longeait les limites de territoires entre l'Ered et la frontière sauvage. Venec n'ayant pas négocié de droits de passage en Ered, Ménélas avait préféré opté pour la prudence, connaissant le caractère ... particulier des nains, en faisant gentillement le tour. De toute façon, cette longue route reliait tout aussi sûrement les empires d'Elagabal et d'Arianhrod.

"Non, les taxes au port de Conalys sont un peu trop élevées, et puis surtout ... naviguer près du "Gardien de l'Ouest" faisait flipper le capitaine de notre bateau ! Alors nous avons préféré accoster au Port aux Crânes, c'est là qu'ils doivent nous attendre !"

"Seulement un bateau transporteur dont on a l'habitude d'employer l'équipage et le capitaine, mais ils ne sont pas, techniquement, de notre bande !

Pour ce qui est de nous passer vos commandes, je n'y vois aucun inconvénient, nous sommes prêts à lier tout accord avec qui veut ... mais Tippu Tip n'aime pas que l'on marche sur ses plates-bandes ! Quelque que soit la marchandise, sur les terres de votre Empire, il nous faudra redoubler de ruse et de prudence pour assurer la livraison ! Nous en avons déjà fait l'expérience, et sans l'intervention active et zélée d'hommes de votre Empereur, nous allions au devant d'un sérieux soucis ...

Que je vous explique, cela fait certes un moment que je n'ai pas revu mon boss, mais j'ai appris que dernièrement, il n'est pas d'humeur à subir des revers, et il a la représaille plutôt rapide et expéditive si vous voyez ce que je veux dire ..."

(NDLR : Hormis les désagréments dûs au fauconnier de Gnarlak, les informations voyagent plutôt bien dans l'organisation de Venec, Ménélas est au courant des accrochages entre Vildrek et Venec, des fiancailles de Jézabel avec le comte, des représailles surtout sur l'organisation désormais décimée de Démis, et des soucis entre Croc et le clergé d'Ambre. En dehors de Jézabel, les autres têtes de l'organisation semblent sur le pied de guerre en ce moment)

Les hommes d'escorte non plus n'étaient pas rassurés. Ils surveillaient surtout le côté frontière sauvage, délaissant régulièrement la surveillance du côté empire nain. Si un désagrément devait avoir lieu, il fallait bien avouer qu'ils se doutaient que çà viendrait plus sûrement du côté animaux et non du côté nabots.

"Sur un truc aussi secret que çà ?

La meilleure chance reste encore de tomber par hasard sur l'un d'eux au détour d'un chemin ...

Peut-être qu'un maître-espion au service d'un des souverains du continent sait comment les contacter ... Les courtiers qui font leurs affaires dans les marchés d'Al-Hinna ont aussi pas mal de contacts, peut-être certains connaissent-ils quelqu'un qui connait quelqu'un ... vous savez comment çà marche ...

Beaucoup de choses sont moins stables qu'avant ... alors méfions-nous de cette frontière malgré tout !"

S'étalait devant eux une portion rectiligne, bordée d'un côté par une fine bande de prairie longeant une jungle dense, et de l'autre coté par la pente douce d'un flanc de montagne.

Soudain, à presque 2 kilomètres devant eux, les grognements devinrent des cris, des rugissements. La forêt s'agita frénétiquement, et une horde animale sauvage surgit, droit vers la montagne. La réponse vint avec un léger décalage dans le temps. Plusieurs coups de tonnerre retentirent. Les plus militaires reconnurent le bruit de coups de canons. Et plusieurs impact explosèrent dans les rangs des animaux qui ne ralentissaient pas. Les plus agiles commençaient déjà à escalader le flanc de montagne.

Sur une petite corniche fortifiée, un canon à flammes était en première position. Le chef de pièce donna l'ordre et l'artilleur alluma la mèche. Imitant le souffle d'un dragon, une large langue de feu jaillit du canon, engloutissant les plus rapides. Ce qui aurait dû être efficace contre une armée humanoïde conventionnelle n'obtint pas le résultat escompté. Si les bêtes de force inférieure à celle d'un homme furent stoppées net par l'effet de souffle, gigotant d'agonie au sol tandis qu'elles se consumaient, un rhinocéros qui galopait sur la pente douce et 2 gorilles émergèrent en feu des flammes. Tandis que le rhino percutait le parapet et la machine de plein fouet, les 2 primates bondirent par dessus pour charger les servants. Le crâne fracassé par l'assemblage mécanique qui avait volé en éclats autour de lui, l'unicorne s'écroula quelques mètres plus loin, a bout de force, recouvert du liquide inflammable contenu dans le réservoir de la machine, sa combustion fut rapide. Un canon chargea en urgence de la grenaille et déchargea tandis que les servants d'autres machines dégainaient leurs arquebuses et vidaient leurs armes sur tout ce qui bougeait.

Le calme revint presque aussi rapidement que la furie s'était déclenché. Tout s'était passé à une vitesse surprenante. Tandis que les nains poussaient des hourra rauques de victoire, le commandant bougonnait. L'assaut avait été stoppé mais ils avaient perdus un canon à flammes, 3 artilleurs loyaux et leur ingénieur. Les bêtes devenaient plus fébriles et entreprenantes qu'à l'accoutumée. Même ce genre d'attaques qui auparavant était très rare devenait moins inefficace qu'avant.

Au loin, il repéra la colonne marchande du convoi qui arrivait sur la route. Les nains remontèrent les murets amovibles de rocaille devant leurs machines, camouflant en grande partie l'artillerie et son personnel. Seul restait, sur sa corniche de commandement, loin en hauteur, l'officier qui restait à observer les marchands arriver lentement. Ils avaient vu l'attaque, il aurait été impoli de disparaitre à son tour alors il resta visible.

Côté jungle, le niveau sonore de la faune et de la flore se calma ... pour le moment ...

"Je n'ose croire que les Ménestrels veulent s'attaquer aux Nains ... il faut alors espérer qu'il s'agit juste d'une perte de contrôle ...

Des machines volantes ? J'ai entendu parler d'un bateau volant, mais il s'agit d'un navire pirate isolé ... et une compagnie de mercenaires éduque et emploie des faucons géants qu'ils chevauchent ... les elfes eux préfèrent les griffons ... mais en terme de mécanique, oui, il me semble qu'il n'y a que les nains !"

Tandis qu'ils approchaient de l'endroit de l'incursion, les hommes d'arme évacuèrent les cadavres d'animaux de la route pour faciliter le passage des lourds chariots. La route était un peu cabossée par les nids-de-poule créés par les tirs de canon.

Le commandant nain, posté tout là-haut, fit un signe de tête aux passants en bas sur la route. Ménélas lui rendit son salut sobre. Ayant rempli ses obligations diplomatiques, le nain fit volte-face et disparut de sa corniche.

"Ya pas à dire ... ils sont toujours aussi causants ! Et sociables !"

"Çà serait même l'occasion d'essayer de cartographier ce truc ! Personne n'a jamais réussi à le traverser, les gens préfèrent le contourner pour aller chez les Norrois ! Du coup, on n'a que des idées approximatives de comment c'est là-dedans !"

Ménélas emboita le pas de l'homme de terrain :

"Ouais, comme j'vous l'ai dit, tout le monde préfère contourner, personne ne veut traverser là-dedans !

Et si vous ne trouvez pas à la grande bibliothèque d'Arianhrod, il ne vous restera plus qu'à trouver un des Ménestrels dont vous parlez ! Ils en sauront peut être plus sur l'intérieur ..."

Le convoi reprit son périple le long de la route menant à Arianhrod. Les regards rivés sur la lisière de cette forêt mystérieuse.

Une fois qu'ils laisseraient derrière eux la chaine de montagnes des nains et la forêt sauvage, ils se retrouveraient face à la crête montagneuse bordant la frontière d'Arianhrod, et à l'ascension sur la route de montagne jusqu'au col permettant de redescendre dans les vallées de l'Empire.

"En Arianhrod, la suspicion ira croissante suivant si vous êtes marchand, politicien ou chef de guerre ! Ils n'aiment pas trop les militaires qui ne roulent pas pour eux ; pour les politiciens, tant qu'ils sont d'accord avec eux, tant mieux ; et un marchand, çà fait des affaires, çà fait tourner l'argent, alors çà va ... Par contre, ne dites pas que vous êtes un religieux ou un magicien, çà, c'est pas une bonne idée, du tout ! Mais surtout, plus que la fonction, c'est la race qu'ils vont regarder ! Mieux vaut être humain pour s'en tirer tranquille !

Vous me parlez de voir du monde et des lieux ... Mais outre la grande bibliothèque, si vous devez voir quelque chose en Arianhrod, c'est le port de Conalys ! Tout y est grandiose, impressionnant ! L'architecture, les quartiers de commerces, les démonstrations de force de l'armée, surtout le navire amiral de la flotte !"