Un poète à dos d'âne

"Oui c'est çà les risques, d'un côté on peut tomber sur des amateurs, et dans l'autre catégorie on peut tomber sur des escrocs ! En fait, l'idéal, c'est de ne pas en avoir besoin !"

Tandis qu'ils suivaient cette longue route longeant la frontière entre les montagnes naines et la jungle sauvage, il y eu régulièrement des signes sonores d'activité animale côté jungle, mais ils ne furent plus les témoins d'autres manifestations d'assaut violent.

Parfois, très loin dans les hauteurs des montagnes, un petit gyrocoptère apparaissait parmi les nuages mais après quelques cercles d'observation, il disparaissait derrière une crête.

"C'est vrai que hormis les animaux à l'extérieur, les nains ne sont pas tranquilles non plus à l'intérieur ! Certaines de leurs montagnes sont infestées de gobelins ! Leurs forteresses sont imprenables, pas de soucis de ce côté là, mais ils ont du mal à se débarrasser de ces squatteurs qui investissent les anciennes mines abandonnées. Du coup, leurs appareils leurs servent à patrouiller pour repérer les spots de décollage de leurs adversaires !"

Ménélas faisait la conversation pour que son invité ne s'ennuie pas trop, mais en même temps, il faisait le guide sans même s'en rendre compte.

"Ah oui çà, question armement, si faut se faire des amis quelque part, c'est bien en Ered ! (Ménélas pensa au marché noir d'Al-Hinna qui voyait souvent transiter des armes de seconde main à revendre, ou des prototypes commandés exprès en provenance des montagnes de l'Ered)

Des skavens aussi ? Ya pas mal de rumeurs qui circulent à Al-Hinna à propos de ces bestioles, mais je n'arrive pas à faire le tri entre le vrai et le folklore ! Si ce qu'on dit est vrai, çà m'a tout l'air d'être de sacrés saloperies çà !"

*Qu'en de jolis mots ces choses-là sont dites ! Y'a pas à dire ... poète, c'est un métier !*

C'est vrai que les grosses bêtes de somme n'allaient pas plus vite que l'âne ... le voyage ne promettait pas d'être rapide.

Après quelques jours, enfin, la forêt commençait à s'éloigner de la route sur la droite, et les montagnes de l'Ered faisaient de même sur la gauche, donnant plus d'espace à la plaine entourant la grande route longiligne. En face, se dressaient les contreforts de la chaîne de montagnes bordant l'Empire d'Arianhrod.

"Plus loin, nous allons tomber sur la route de montagne qui nous permet de rejoindre le col ! De l'autre côté, la descente sera tranquille jusque dans les vallées d'Arianhrod !"

"Oui c'est vrai ! A l'aller, ils ne nous ont pas posés de problèmes, mais c'est vrai que nous les avons trouvés plus tendus qu'à l'accoutumée !

Là où çà doit pas être marrant, c'est à l'autre col frontalier encore plus au sud ! C'est celui-là que les légions utilisent lorsqu'elles vont faire des raids sur Halruaa ! Ah çà ... le jour où ils se décideront à lancer plusieurs légions d'un coup, çà va faire du vilain là-bas !"

"De mon expérience des échanges sociaux entre humains ... il est plus facile de se séparer que de s'allier, de se détester que de s'entendre ...

Les Norrois, je ne sais pas ce qu'ils pensent de ceux de votre pays ... Mais pour Arianhrod et Halruaa, la convoitise de l'Empire ne date pas d'hier ... une annexion, une fusion unilatérale, oui, une alliance peu probable !

Le monde a en effet plus que jamais besoin de chefs avec plus de cervelle que d'hormones ! Mais la sagesse, c'est une denrée rare ces temps-ci !"

"Pas évident çà ... Je ne vais pas vous vanter celui d'Al-Hinna alors, il existe bien un gouverneur mais le véritable organe dirigeant, c'est le conseil des marchands, un cercle intérieur limité de marchands puissants qui gèrent surtout en fonction des rapports qualité/prix, et des balances gains/pertes ... Pourquoi croyez-vous que les meilleurs marchés aux esclaves s'y trouvent ? Votre empereur a eu le nez pour ses nouvelles concubines !"

Ménélas sourît intérieurement. Alfred De était un homme bon. Du genre qui se font croquer par les gens sans pitié. Lui avait choisi le camp des pragmatiques. Mais il trouvait louable qu'il existe encore des hommes comme Alfred dans ce monde.

"Oh vous savez ... l'avarice, l'envie et la luxure sont dans la nature humaine ! L'orgueil aussi ... Bon nombre de mauvaises décisions sont prises en leur nom !

Mais je ne suis pas défaitiste ! Nous ne sommes pas si mal lotis que çà après tout ! Je préfère encore être un humain parmi les hommes plutôt qu'un drow parmi ses semblables ou qu'un gobelin parmi les siens ! Notre âme n'est pas si noire, il y a encore de l'espoir ... enfin j'ose le croire !"

La suite du voyage plein sud se poursuivit sans encombre et enfin ils bifurquèrent sud-ouest, en plein face à la chaîne de montagnes ceinturant l'Empire d'Arianhrod. Les attendait une ascension régulière jusqu'à un col de montagne gardé par un poste frontière des plus militaires.

Ce qu'ils ne savaient pas encore, c'est que les postes frontières comme celui-là étaient depuis peu sur le pied de guerre. Une légion en maraude vers Halruaa n'était pas revenue et les éclaireurs d'Arianhrod plus au sud signalaient la présence de troupes de géants, ou d'ogres, ou de peaux vertes, selon des rapports discordants et peu précis.

Pour l'heure, le convoi marchand n’apercevait aucun signe de présence militaire des forces de Thran sur cette route qui venait du nord ...

"En Halruaa, ils n'ont pas de dirigeant national ! Plus depuis la mort de la dernière Reine ! Je sais que le pays est convoité par l'Empire d'Arianhrod, qu'une résistance s'est formée pour le défendre au nord ouest, rejointe par tous les réfugiés qui ont fuis les pogrom d'Arianhrod et que les grandes cités marchandes gèrent plus ou moins leurs territoires ... Les seigneur locaux les plus influents politiquement sont ceux d'Halarahh, de Khaerbaal, d'Halagard, de la baie d'Azouth ... et pour les affaires, il faut aussi compter avec la baie des Pirates de Taulazna !

C'est un peu pareil au royaume sans tête ! Hormis autour des 3 grandes cités, le reste du pays n'est pas vraiment "dirigé" ... Des rumeurs disent que l'ancienne reine-déesse d'Harmadrya est revenue et que la cité est en train de renaitre ... sinon, durant des années, elle n'était plus qu'une cité fantôme, qu'on disait hantée même ... Toute la région de Castellac est dirigée par le Comte Vildrek et le culte d'Ambre ... Et le désert d'Al-Hinna est sous le protectorat du conseil des marchands de la ville !"

Le convoi arriva sans encombre au pied de la montagne et l'ascension commença le long de la route en pente pour le moment douce. Menélas remarqua assez vite que quelque chose était inhabituel, ayant emprunté cette route plusieurs jours auparavant dans le sens inverse. Dès le premier kilomètre d'ascension, plusieurs tranchées avaient été creusées latéralement des 2 côtés de la route, derrière chacune, un remblai fait avec la terre creusée complétait une série de défenses à intervalle régulier. Peu intéressantes pour des troupes qui monteraient, elles étaient en revanche très utiles pour des défenseurs postés en amont. Pour l'heure, aucune troupe ne stationnait derrière les remblais ceci dit.

A un moment, l'un des éclaireurs revint près de Ménélas et lui murmura à l'oreille avant de repartir à bonne distance du convoi.

"On vient de m'avertir que de petits groupes de rangers ont l'air de stationner dans les petits bosquets des 2 côtés de la route. Ils nous ont repérés mais personne ne fait mouvement vers nous ! Des rangers en sentinelle, un relief fortifié ... ils se préparent à une invasion ? Loin là-bas (Ménélas pointa la direction du sud-est), c'est la direction d'Halruaa ! Mais Arianhrod joue le rôle de l'envahisseur et Halruaa résiste normalement ! Tout çà n'est pas logique !"

"Oui vous avez raison ! Hâtons-nous !

Après, si pour revenir à Elagabal, vous ne pouvez plus passer par Arianhrod, comme autre solution, il y a la possibilité de passer par Sealand. Les Norrois sont un peu frustres mais leurs frontières ne sont pas verrouillées, enfin pas à ma connaissance, et un voyageur pacifique peut peut-être passer sur leurs terres !

Il y aurait eu aussi par Nécros Polis aussi mais je n'ai plus la moindre information venant de là-bas depuis très longtemps ! Çà ne me dit rien qui vaille !"

Ils arrivèrent enfin au bout de l'ascension à flanc de la chaîne de montagnes. Devant eux, la route serpentait entre les cimes et les cols montagneux, et au bout de ce serpentin, ils arriveraient à Bronn Thundar.

Au loin devant eux, un nuage de poussière soulevé de la route signalait l'approche de quelque chose de rapide. Il ne fallut que quelques minutes pour que les premiers de convoi puissent apercevoir dans la poussière une petite colonne de 5 cavaliers légers au galop certes, mais armes rangées à la selle. Ils ne sortirent leurs lances que lorsqu'ils furent proches du convoi mais se mirent à ralentir en même temps et remontèrent prudemment la colonne de chariots en faisant avancer au pas leurs montures. Le sergent des cavaliers se fit indiquer par les premiers cochers qu'il croisa qui commandait ce convoi et tandis que les autres cavaliers inspectaient sommairement les chariots vides, le sergent accéléra le trot de son cheval jusqu'au chariot de Ménélas qui lui présenta comme il se doit les papiers attenant au convoi et sa charte de libre marchand. Le sergent inspecta tranquillement les papiers en louchant de temps en temps vers Alfred De.

"Nous revenons d'une livraison de plusieurs statues au palais impérial d'Elagabal ! C'est pour çà que nous rentrons à Al Hinna à vide ! Notre bateau nous attend dans l'un de vos ports !"

"Ok ! des marchands qui rentrent à vide ! Une fouille plus complète de vos chariots aura lieu à votre arrivée à la cité ! Si vous n'avez rien à déclarer, vous pourrez repartir rapidement !

(puis il reporta son attention vers Alfred De) Vous renseigner ? Sur qui ? Sur quoi ? Plénipotentiaire en visite officielle ?"

"Vous vous inquiétez sur l'avenir ? Et bien il est plutôt incertain pour le moment je dirais ! Mais vaudrait peut-être mieux que vous en discutiez avec des officiels en ville ! Toute la région des montagnes est tendue en ce moment, nous allons vous escorter si vous le voulez bien !"

Il ne s'agissait pas d'une question mais plutôt d'une affirmation. Voulait-il vraiment escorter un diplomate ou plutôt surveiller et garder à l’œil ce convoi d'étranger ?

Le reste de la route se fit sans encombre. Çà et là, d'autres patrouilles croisaient leur route, mais l'escorte accélérait grandement toutes les démarches et les pourparlers. Si leurs intentions avaient été hostile, quand bien même leur avancée aurait été discrète, ils n'auraient certainement pas pu avancer si loin dans la chaine de montagnes sans être attaqués.

Ils furent enfin en vue de la cité de montagne. Au delà, la route descendrait dans la vallée pour rejoindre les voies navigables ou les routes vers la côte.

"Hum... Oui, c'est çà ...

Nous ne faisons que vous escorter jusqu'à la cité ! Au delà, votre route sera plus sûre et vous n'aurez plus besoin d'une escorte ! Ma patrouille repartira en mission dans les montagnes !

Vous êtes à 8 jours à peu près de Port-aux-Crânes ! 4 jours de Bronn Thundar à Drillin, 2 de plus pour rejoindre Valandris, et encore 2 autres pour atteindre Port-aux-Crânes ! Je demanderais à l'officier au Poste de Garde de vous conduire auprès des notables de la cité ! Ils pourront vous donner un sauf-conduit pour pouvoir voyager dans l'Empire ! Si vous avez besoin d'un guide, vous pourrez leur demander à eux, çà sera mieux !"

"Les Haluréens ? Ils sont trop occupés à se défendre comme des lâches, planqués dans leurs jungles, ils n'ont pas de "troupes" capables de venir jusqu'ici ! (on voyait clairement ce que le soldat pensait de la résistance de ce peuple qui ne se laissait pas tranquillement envahir)

Non ... mais ... certains rapports mentionnent des mouvements furtifs, mais aucun contact avéré ! Des espions certainement ! Des observateurs qui évitent la moindre rencontre ! Lapaliiya n'existe plus ! Huldraa n'a aucune troupe ! Au nord il n'y a que des animaux ! Venir ici dans les montagnes ... peut-être les nabots de l'Ered qui ont des vu sur nos montagnes à nous ! Ou des pillards peaux-vertes mais ils vont se faire recevoir croyez-moi !"

Alfred De sentait bien que l'officier éludait une partie de la réponse. Peut-être parce qu'il n'était pas d'Arianhrod, ou parce qu'il était un civil, mais visiblement, certaines choses ne pouvaient pas lui être dites. Des gens de son domaine seront peut-être plus loquasses qu'un militaire.

(NDLR : ah ben çà, la disparition actuellement inexpliquée de toute une légion, çà n'est pas le genre d'info qu'on lâche au premier venu, même s'il s'agit d'un diplomate d'un autre pays de "bons humains" bien comme il faut ...)

Profitant que l'officier, à cheval, s'éloigna du banc de conduite du chariot, Ménélas se pencha discrètement vers Alfred De :

"Condescendant, et morgueux, comme il sied à un soldat d'Arianhrod ! Oh les vilains d'Halruaa qui osent se défendre avec leurs moyens ... oh les vilains nains qui ont des plus hautes et plus protégées montagnes que nous ! Et bien quel sympathique escorte nous voilà !

Espérons que leur intellectuels soient plus ouverts à la conversation ! Sinon, votre séjour en Arianhrod va vous paraître monotone !"

Les soldats qui composaient la patrouille avaient rapidement cerné de quoi était composé le convoi. Des cochers et du personnel d'équipage, pour la plupart typés du désert, des combattants du même acabit, certainement des gardes du corps engagés au contrat, de vulgaire mercenaire somme toute. Mais Tristan n'était clairement pas d'Al Hinna. Ils avaient entendu leur officier s'entretenir avec un diplomate d'Elagabal. Un soldat d'Elagabal comme escorte d'un civil, c'était fort probable.

Du coup, comme il n'y avait aucune relation belliqueuse entre leurs deux empires, eux aussi se sentaient rassurés de rencontrer un homme de leur trempe.

"Bah, c'est une volonté des grands pontes en même temps ! Si assez de légions débarquaient en même temps, on les aurait mis au pas depuis longtemps et intégré leur pays de pouilleux à notre Empire ! Mais ils ne veulent pas dégarnir toutes nos garnisons ! Alors quand viens le changement de saisons, une légion part en "entrainement" faire des raids à la frontière ! Comme tu dis, çà occupe, çà entraine les troupes, et çà affaiblit progressivement leurs défenses ! Lorsqu'ils n'opposeront plus de résistance, on leur portera le coup de grâce !

Une armée qui ne fait rien, c'est pas bon ! ni pour le moral, ni pour le niveau d'entrainement ! Faudrait que votre roi se lance dans une petite guerre contre un de vos voisins ! Au moins, çà entretient la qualité et le moral des troupes !"