Règlement des affaires courantes

Dans le quartier des marchés aux esclaves, les transactions allaient bon train. Une jeune femme asiatique, de longues aiguilles à cheveux plantées dans sa coiffure et un long coupe-vent replié derrière ses épaules à la manière d'une cape, distribuait les consignes, les accords ou les refus, et encaissait régulièrement des bourses garnies de pièces sonnantes et trébuchantes. Un gros bras dans son ombre rangeait soigneusement l'argent dans un sac lourdement renforcé.

Parfois, c'est elle qui était demandeuse et l'argent refluait alors tout aussi discrètement. Finalement, l'argent passait de mains en mains sans vraiment s'attarder quelque part.

De temps à autre, des hommes à l'allure furtive et au regard fuyant, passaient non loin d'elle, au dernier moment se glissaient dans son dos, et lui chuchotaient quelques mots avant de déguerpir tout aussi rapidement. Elle affichait presque continuellement un large sourire de satisfaction.

Dans une taverne enfiévrée du caravansérail, musiques orientales et clameurs des conversations remplissaient la grande salle d'un véritable chaos sonore. Dans un coin de la salle, un homme au fort embonpoint mangeait seul à sa table. Tout autour de lui, assis à d'autres tables ou debout, un certain nombre de malabars formaient une véritable nasse.

Entouré de deux bretteuses drows, celui avec qui il avait rendez-vous arriva enfin. Un homme d'une quarantaine d'années, élégamment habillé, caressait tranquillement ses magnifiques bacchantes bouclées, il avait 5mn de retard. L'un des malabars se plaça en travers de sa route et l'une des combattantes porta aussitôt sa main à son arme.

(L'élégant leva un sourcil appréciateur en voyant que sa manœuvre de retard n'avait pas déstabilisé le marchand) Votre excellence Bénard Shah ! C'est toujours un plaisir de faire affaire avec vous !

Ces salamalecs détendirent les "hommes" de main des 2 beaux parleurs. Vénétiano s'installa face à Bénard Shah, ses 2 gardes du corps restant debout derrière lui. S'en suivit un échange presque incessant de bons mots et de circonvolutions rhétoriques. Ils ne parlèrent presque exclusivement que de gastronomie, mode masculine, du beau temps, et des dernières occas' en or du marché aux esclaves. Enfin le repas prit fin et le ton devint plus sérieux. Le marchand claqua des doigts et l'un des malabars amena devant Vénétiano une petite mallette. Il l'ouvrit et examina l'arme à feu qui s'y trouvait.

Ils marchandèrent 20 bonnes minutes avant de se mettre d'accord sur un prix. Des pièces de platines furent échangées et l'une des drows récupéra la mallette.

Le dragon chromatique était un complexe couvert rassemblant de multiples pièces, plus ou moins grandes, des grandes salles de bar aux petites alcoves intimistes. De nombreuses ouvertures dans les quelques murs de séparations permettaient des passages labyrinthiques de l'une à l'autre. Le tout ressemblait de loin à une gigantesque yourte toilée, pas très haute mais très large.

En son centre, des cuisines / comptoirs de bar préparaient les multiples boissons et en-cas pour les clients des différents espaces.

Bénard Shah était moins calme que d'habitude, il s'agitait (autant que son embonpoint lui permettait) entre diverses serviteurs et donnait ordre sur ordre en gesticulant les bras. Un petit homme vint lui taper sur l'épaule et lui montra un mécanisme d'horlogerie.

"Bien, bien, bien ... Tout est prêt ! Enfin ! ... Nos invités sont arrivés ?

Admirable ! "

Escorté par ses gardes habituels, il se dirigea vers une salle de réception, et entra par une porte dérobée.

Dans la salle, assis confortablement dans un fauteuil garni de coussins, un ogre richement vêtu attendait calmement. 2 de ses congénères, armurés de pieds en cape restaient debout en retrait derrière lui.

"Maître Bénard Shah ... enfin vous voilà !

Tout à fait ! "

La suite de la transaction se passa assez vite et prétextant de nombreuses affaires à traiter dans la journée, Bénard Shah s'éclipsa de la pièce après paiement de la machine de guerre. L'ogre resta un moment, le temps de finir son dîner, puis repartit vers la sortie escorté par les serviteurs du marchand.

Dans une autre salle de réception, plus petite et à l'ambiance plus feutrée, un seul convive attendait, capuche sur la tête. Le marchand fut à nouveau introduit en catimini.

"Messire Flèche-Dorée ... vous avez fait bon voyage ?

Splendide ! "

De même, la conversation s'abrégea assez vite, une fois la transaction achevée, l'homme assez grand et mince fut amené vers les réserves d'où son achat fut ensuite acheminé vers l'écurie où attendait son chariot.

Une fois dans les couloirs internes du complexe, le scribe interpella son maître.

"Alors ?

Bien sûr maître ... "

Par une nuit animée, la faune interlope d'Al-Hinna se déployait dans les rues de cette cité qui semblait ne jamais dormir vraiment. Cà et là, des ombres furtives glissaient dans les ruelles.

A l'intérieure d'une bâtisse maçonnée, la fraicheur des pierres protégeait l'intérieur de la chaleur. Dans une large pièce, creusée en profondeur, de nombreux convives festoyaient autour d'un riche repas. Plus on s'approchait du centre, plus on descendait de marches. Le sol était couvert de marbre et le tout recouvert de coussins et de tapis précieux. Dans l'ombre niveau le plus haut, mal éclairé, ceinturant l'ensemble de la pièce, de nombreuses silhouettes veillaient scrupuleusement à ce qu'on ne dérange pas la fête.

Parmi les clients du cercle central, Bénard Shah était dans son élément, goûtant à tous les plats qui lui étaient présentés et se délectant des nectars qu'on lui proposait.

"Pouvons-nous commensssser la séansssse ? " intervint la personne à sa droite, d'un ton qui démontrait l'impatience.

Une naga, richement vêtue, parée de nombreux colliers, agitait nerveusement l'extrémité de sa queue serpentine.

"Lady Chang ! Cela faisait longtemps que je ne vous avait vue ! Comment allez-vous ?

Bien, bien mon cher Shah ... Je vois que vous ne vous laissez pas mourir de faim au moins !

C'est offert de si bon cœur que j'aurais du mal à refuser !

C'est vrai ... "

Face à elle, un colosse à la peau d'ébène termina l'amphore pleine qu'il venait de saisir un peu plus tôt.

"Aaaaah çà fait du bien ! Ouais vous avez raison Lady Chang ! On ne va pas faire que manger et boire quand même ! Mais il en manque, non ? "

Un petit homme aux allures de comptable s'agita non loin.

"Je me permets de vous présenter mes excuses pour mon seigneur qui n'a pas pu être présent physiquement, cependant, il est bien là pour cette réunion ! "

Il claqua des doigts et 2 serviteurs derrière lui soulevèrent le rideau qui couvrait un grand miroir sur pieds et approchèrent le miroir du cercle central. Un homme d'un certain âge aux très longues moustaches tombantes apparut dans le miroir.

"Très cher convives, je suis ravi de vous revoir ! "

Chacun le salua à sa façon. Le colosse hocha du menton à l'attention de Bénard Shah pour lui montrer une autre direction. Un jeune nomade s'approcha et s'affala tranquillement dans une place libre.

"On peut vous aider ?

Non, çà ira ! Je suis pile au bon endroit ! "

Le jeune homme sortit de sous ses habits une boite couverte de feuilles d'or. Il l'ouvrit et en sortit une perle qu'il frotta doucement. Une fumée diffuse apparut autour de la perle. Après quelques instants, la fumée laissa place à une image floue de Venec.

"Je vous souhaites bien le bonjour chers amis, cela faisait un bail !

Ah Venec ! Alors nous sommes au complet maintenant ! "

Le conseil des marchands pouvait commencer ...

En cette chaude soirée (vous me direz, à Al-Hinna, il n'y a que çà des chaudes soirées), la vie nocturne battait son plein. Le bordel du souk du croissant nord était plein à craquer. Dans l'une des alcôves les plus isolées, vautrés dans 2 klinai en vis à vis, 2 hommes de Venec prenaient du bon temps : Yosheb, un jeune nomade, qui l'avant veille avait amené une perle de communication au conseil des marchands, évitant ainsi à Venec de rater une séance plénière ; et Hector, le roublard qui avait aidé Grudu, son pote et la jeune barde à préparer leur départ.

"Aaah ! Y'a pas à dire ! Les bordels de Lady Chang sont quand même les meilleurs !
Oh toi, tu dis çà parce que t'as pas réussi à gratter une invit' chez Benard Shah !
Mais parle pas de c'que tu connais pas gamin ! Quand j'veux j'y vais moi !
Ouais ben pense aux copains la prochaine fois !
C'est çà c'est çà ... n'empêche ... J'ai quand même une pointe de regret moi !
Tu penses encore à la rouquine fortement poumonée ?
Ah c'est vrai qu'elle a de sacré atouts celle là !
Fait gaffe à toi ! Y'a des histoires qui courent à son sujet !
T'inquiète mon p'tit Yosheb ! Je sais très bien que c'est une Sarracénia !
Hein ?!?
(Hector éclata de rire) ... Une magnifique plante carnivore mais si tu t'approche de trop près, t'es cuit ! N'empêche, j'ai quand même le droit de trouver qu'elle est bien foutue !
Oui, mais elle n'est pas à louer, c'est une commerçante, alors oublie la tu veux !
Ouais t'as raison !
Et sinon, le patron t'as filé un autre job pour moi ?
Pas encore gamin, pas encore ! T'inquiète ! Il a adoré ton entrée théâtrale, tu as fais un parfait petit effet auprès des gros pontes !
Comment tu le sais ?
Hé, hé ... qu'est ce que tu crois ... j'ai mes sources ! J'ai pleins d'yeux et d'oreilles partout ! T'étais pas lâché seul dans la fosse aux crocodiles ! On était là pour assurer tes arrières, rassure toi !
Cool ... Me voilà rassuré ! Et du coup, le fait qu'on joue les clients dans un claque de Lady Chang, çà n'a rien à voir alors ?
On ne joue pas, on est vraiment des clients ! Et on peut bien joindre l'utile à l'agréable, non ?
Euh ... ouais, t'as raison !
Et ben voilà ! Tu commences enfin à penser comme le patron !"