Une banale histoire de pirate

Il attendit que Jacquotte soit sortie.

"Ouais c'est çà bien sûr ..."

Le pirate agita son canon pour faire accélérer le pas à Janick

"Aller le p'tit chien-chien ! File le train à ta maitresse ! Dégage la piste !"

A peine Janick sortie, il shoota à nouveau dans le postérieur de la serveuse pour la pousser dehors et referma violemment la porte. Les 4 autres se tenaient penauds, se manipulant le bout du zigwigwi tout endolori par les morsures. Il leur fila à chacun une magistrale taloche derrière la tête.

"Abrutis !!! N'empêche, la prochaine fois qu'on les croise, on les fume ! Au sens canons et poudre noire bien sûr !"

Regardant d'en haut Jacquotte s'activer à faire partir toute sa bande, le patibulaire rameuta les hommes restés dans la chambre. Ils sortirent en trainant la patte, se massant un endroit ou un autre du visage, il avait dû distribuer les baffes.

"Elle a l'air sacrément pressée de récupérer tout l'monde ! Elle n'a pas l'air d'avoir envie que certaines soient retardées par des parties de jambes en l'air ! C'est pourtant pas souvent qu'les filles d'Alvida se pointent en aussi grand nombre faire la fête ! Bizarre !

Allez motivez-vous, bande de moules ! Essayez d'me retrouver tous ceux qui n'sont pas trop saouls ni trop occupés à s'vidanger ! Et allez me les filer, mais discrétos hein ! Soyez plus fins que d'habitude ! Çà m'arrangera !

Ben et toi gros malin ?

Le gros malin, il va aller causer avec les aut' cap'taines ! J'ai les verrues du pif qui m'gratouillent, et j'aime pas quand çà m'fait çà ! Çà sent l'embrouille ! Elles nous trament qué'que chose, les alvigirls ! Faut savoir ce qu'elles préparent ! Et p'têtre qu'au bout du compte, y'aurait du pognon à s'faire ! Ou du culbutage qui sait !

Ouais, ouais, çà, çà nous intéresse ! Mais n'empêche, la prochaine fois, on préparera une muselière à ces deux là ! On n'sait jamais !"

Les 4 pirates refroqués et remotivés allèrent chercher des potes pour partir en filature des filles menées par Jacquotte.

"Sacrebleu !!"

Le capitaine ajusta sa longue-vue à son œil valide. Il suivait du regard ce que son second lui désignait. Longeant le pont du bateau d'Alvida, Il porta son regard vers un autre côté du quai.

"Tu parles qu'il se passe un truc pas commun ! Les hommes de Rodor qui viennent de remonter à la hâte sur leur bateau, ils venaient du même endroit du port que les donzelles, et ils se préparent eux aussi à partir ! Et bien entendu, de manière toute aussi précipitée !

Pas question de rester à la traine ! Alvida se casse sans prévenir et Rodor veut lui filer le train ! Faut qu'on en soit Morblousse ! Ma jambe de bois me démange ! Il s'est passé un truc au port et on s'rait cons de rater l'occaz' !

Motive les gars par tous les moyens ! Faut qu'on décolle au minimum dans leur sillage ! En mer, on devrait maintenir la distance avec son rafiot mais faut pas qu'on se rate au démarrage par contre !"

La tournée du fouettard auprès des capitaines qu'il avait pu trouver dans le port commençait elle aussi à porter ses fruits. D'autres équipages étaient rappelés à des degrés divers d'urgences. Les plus avancés finalement étaient ceux de Rodor le Fourbe et son second le fouettard trouble-fête et de Barberousse le borgne et son second "fait parler la poudre". Alvida serait heureusement la première à pouvoir appareiller en bon ordre.

Les 2 navires de Rodor et Barberousse avaient eux aussi quitté le port. Ils étaient trop loin pour engager un affrontement mais ils pourraient les suivre à distance. Les autres navires qui se préparaient à appareiller auraient pu être distancés par le gréement du Sourire du Dragon mais il leur suffisait de suivre ces deux là pour garder la piste d'Alvida.

Jacquotte estimait que 3 autres navires seraient assez rapides à larguer les amarres pour participer à la poursuite, ce qui faisait du coup 5 épines dans leur sabot. Pour les autres, leur retard seul suffirait à les décourager et ils laisseraient tomber. L'éclat de lumière provenait justement d'une longue vue sur le pont d'un de ces trois navires.

Le navire couvert de coquillages de Rodor et la coque noire de celui de Barberousse étaient à portée de sabords l'un de l'autre, mais suffisamment éloignés pour décourager qui que ce soit d'un abordage. Ils ne faisaient pas cause commune et ne se faisaient aucune confiance, mais pour l'heure, ils avaient un objectif commun : ne pas se faire distancer par le Sourire du Dragon.

En scrutant l'éclat de lumière, Jacquotte en remarqua un autre, plus à l'est. A cet endroit, il n'y avait plus de quai, on était même à l'extérieur du port, il n'y avait qu'une petite crique dans cette direction. L'autre éclat clignotait cependant, selon un rythme mécanique.

"Une lampe-tempête ! On nous fait du morse !"

Alvida s'était portée à côté de Jacquotte et observait la même scène de sa propre longue-vue.

"5.contre.1 ... pas.du.jeu ... foncez ... Je reconnais son gréement ! C'est l'Espadon d'Aranessa ! Elle nous file un coup de main ! Elle va occuper les 3 autres par l'arrière ! Ce qui nous laisse 2 mouches à merde collées au cul !"

Elle luit tendit la longue-vue pour qu'elle puisse voir à son tour.


"Je te laisse le contrôle de la manœuvre ! Je vais nous chercher une tempête pour semer ces 2 là !"

Tandis qu'Alvida secouait la navigatrice dans la salle de guerre à la recherche d'une tempête à traverser, Arielle se porta à l'avant et fit signe à l'une des filles de foncer à la poupe. Elle sortit son loch de sa besace et fit tomber à l'eau le poids, le fil se déroulait à vive allure. Lorsque l'observatrice vit passer le poids, elle donna le signal à Arielle qui retourna son sablier.

Pendant ce temps, Arielle gardait en vue les 2 autres navires, utilisant des points du pont comme repères. Lorsque le temps fut passé, Arielle arrêta la bobine et attendit le résultat des observations. La fille s'empressa d'aller la voir et après un rapide calcul dans sa tête ...

"On file actuellement à 9 nœuds, Jacquotte ! Mais on est pas à notre maximum ! Avec un bon vent arrière, on peut gagner un ou deux nœuds facile ! Pour nos poursuivants, ils perdent très légèrement de la distance, ils doivent être entre 8 et 9 nœuds là ! Bon, avec le coup du vent arrière, ils accélèreraient aussi du coup, mais de base, notre navire est plus rapide ! Si les conditions de vent s'améliorent pour tout le monde, on devrait agrandir l'écart petit à petit ! Heureusement qu'aucun des deux n'a de canon de proue !"

Tout le monde s'activait sous les ordres de Jacquotte. Les petits canons mobiles étaient acheminés sur le gaillard d'arrière et les boulets enchainés posés à coté.

C'est alors qu'un ordre fusa de la cabine à la timonière. Un virage brusque s'opéra et au bout de quelques lieues, le vent souffla soudainement plus fort. Les 3 navires accélérèrent mais comme l'avait prédit Arielle, le Sourire du Dragon était plus rapide et l'écart se mit à grandir lentement. Mais l'objectif d'Alvida était clair. Face à l'horizon, d'épais nuages noirs auguraient un sacré grain. Elle avait bien l'intention de perdre les 2 autres dans une tempête, comptant sur la manœuvrabilité de son navire.

Attentive aux réactions des autres navires, l'une des canonnières postées à l'arrière remarqua que les marins de Barberousse avaient été moins réactifs, l'une des grands voiles s'effondra sur son axe, les cordes avaient lâchées. Ils allaient perdre de précieuses minutes à la retendre à sa place et une telle perte de voilure allait handicaper la vitesse du navire durant tout le temps dont ils avaient besoin. En tout cas, c'était une aubaine pour elles. Elle prévint Jacquotte.

Pendant ce temps, la manœuvre réclamée par la second fut appliquée. le troisième navire fit de même, mais avec un temps de décalage. Entre les vagues brisant les lignes de vue, les bordées d'eau et les trombes leur tombant dessus, elles n'avaient qu'une vision par intermittence de leurs poursuivants. Si l'un des deux navires se faisait lentement mais inexorablement distancer, l'autre perdait vraiment trop de vitesse.

L'équipage s’exécuta. Pour protéger l'armement, les canons légers et leur poudre, amenés sur le gaillard d'arrière, avaient été rapatriés en cale pour les protéger de la tempête.

Les lumières à l'arrière furent éteintes tandis qu'elles étaient renforcées à l'avant. Alvida donnait presque constamment des indications à la Timonière, naviguant autant à vue qu'à l'instinct. Elles traversaient la tempête, trempées, mais toujours à flot.

L'un des deux poursuivants n'était déjà plus visible.

Après une traversée qui parut interminable, l'équipage sortit enfin de la tempête. Des eaux calmes leur permirent de souffler un peu. Alvida passait de fille en fille pour les féliciter et posa une main rassurante sur l'épaule de Jacquotte.

"Les voilà paumés pour un moment ! On a au minimum gagné plusieurs jours d'avance ! Et j'espère bien qu'ils y auront gagné quelques avaries en prime ! D'ailleurs ... j'espère que nous n'en avons pas trop, nous !"

L'équipage entreprit alors de faire une inspection minutieuse du navire. Quelques dégâts minimes sur la coque, une voile déchirée mais remplaçable. Une caisse de boulets passée par dessus bord, quelques bosses et ecchymoses, mais pas de blessées graves à déplorer et rien de fatal au navire. Alvia s'autorisa alors un bon éclat de rire d'avoir réussi son coup.

"Je me demande quand même si Aranessa s'en est sortie face aux 3 trainards ... j'espère qu'elle ne s'est pas trop mise en danger pour nous !"

Le regard d'Alvida devint plus dur que la lame d'un sabre qu'on aurait dégainé sous sa gorge.

"Que les choses soient bien claires jeune fille ... C'est la première et la dernière fois que tu emploies le mot mutinerie devant moi ! (le regard se radoucit alors ... au niveau glacial) ... Maintenant, 2 choses :

Je ne me souviens pas m'être assise à une quelconque table pour passer un quelconque pacte au sujet du partage d'un quelconque butin avec qui que ce soit, et toi Hélène, çà te dit quelque chose ? (elle se tourna vers la timonière qui elle avait une main nonchalamment posée sur la poignée de son sabre)

Non plus, jamais entendue parler de çà !

Bien ... et deuxièmement, çà n'est pas parce que j’apprécie l'aide d'une amie, et que je m'inquiète de son sort, que çà veut dire que je veux partager un butin ou un titre ou ma réputation avec elle ! Elle a ses propres objectifs et ils ne regardent ni moi, ni toi !

Maintenant, va donc faire le tour de l'équipage, t'assurer que toutes sont prêtes à reprendre la route ! Ces crétins nous ont fait perdre assez de temps comme çà !"

*Loyale ?!? Mon cul oui ! Je vais devoir être plus prudente à l'avenir ! C'est lorsqu'on touche au but que les vrais visages se dévoilent ... mais je n'aurais pas pensé qu'elle serait la première ...*

Alvilda sortit de ses appartements pour se mettre à l'avant du bateau. Elle grinçait un peu les dents. 

C'était compliqué de passer la grande porte d'Arianhrod pour rejoindre les ports des villes. 

Il y avait un embouteillage, Alvilda donna l'ordre de stopper la machine.